Pour le Camerounais Moussa Njoya, la crise qui secoue depuis près d’une décennie les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest est née principalement d’un sentiment de marginalisation institutionnelle, infrastructurelle voire civilisationnelle éprouvée par les populations anglophones, qui estimaient avoir été flouées lors du « deal » de 1961 ayant conduit à la réunification, relaie le journal l'Indépendant dans sa parution du 6 octobre que nous citons.
Un « problème anglophone » qui avait conduit des acteurs politiques anglophones majeurs tels que John Ngu Foncha et Salomon Tandeng Muna à quitter la barque du régime RDPC au début des années 1990. Et comme solution « définitive », d’aucuns avaient préconisé ni plus ni moins que la sécession à travers le Southern Cameroon National Council (SCNC), rejoignant ainsi les thèses développées en 1985 par l’avocat Fongum Gorji Dinka, qui invitait les populations anglophones à quitter « le régime inconstitutionnel de Paul Biya » pour fonder « la République indépendante de l’Ambazonie ».
Plus de 20 ans se sont écoulés après la dernière édition du « All Anglophones Conference » tenue les 2 et 3 avril 1993 à Buea, et aucune mesure n’a été prise pour résorber tous les griefs qui avaient été soulevés lors de ces assises. Puis un matin de novembre 2016, tout bascula !
Le moins que l’on puisse dire est que depuis le 06 avril 1984, le Grand Nord du Cameroun vit dans le tourment et le cauchemar permanent d’un des « contentieux historiques » les plus douloureux de l’histoire récente du Cameroun. Et depuis quelques années, chaque 06 avril, lorsque l’on lit les témoignages de quelques victimes, notamment dans les colonnes de du journal, L’œil du Sahel, l’on réalise à quel point la plaie est encore béante et la douleur vive.
D’après Moussa Njoya, des décennies sont passées, mais en dépit d’une loi de réhabilitation, personne n’a pensé à prendre d’infimes mesures d’apaisement telles que l’indication exacte des endroits où se trouvent les fosses communes qui servent de sépultures de fortunes aux personnes exécutées dans la foulée de ces malheureux événements, afin que les familles puissent enfin véritablement faire leurs deuils, en ayant des lieux précis de recueillement, même s’il s’agit d’un fleuve ; la restitution des biens qui ont été indument confisqués ; le paiement des arriérés des salaires et pensions qui ont été suspendus suite aux condamnations ou accusations ; et pourquoi pas, la présentation des excuses officielles pour toutes ces vies qui ont été illégitimement brisées dans certains cas.
Tout a commencé en 2016 par des manifestations pacifiques d'avocats et d'enseignants. Ils dénonçaient la « francophonisation » croissante des systèmes juridique et éducatif dans les régions anglophones du Cameroun. Très rapidement, ces protestations ont dégénéré en conflit armé opposant des groupes séparatistes aux forces gouvernementales. Le coût humain est dévastateur. Les deux camps de cette guerre civile utilisent l'éducation comme arme.
Depuis 2017, selon les statistiques de certaines ONG, plus de 700 000 enfants ont été contraints de quitter l'école. En octobre 2024, le conflit avait fait plus de 6 500 morts et déplacé plus de 584 000 personnes à l'intérieur du pays. Plus de 73 000 personnes ont été contraintes de se réfugier au Nigeria voisin. Bien qu’il soit un acteur central d’un conflit toujours loin d’être réglé, Yaoundé affirme que la situation est sous contrôle. En réalité, les autorités combinent une stratégie de répression militaire et un semblant de dialogue.
Dans les coulisses, elles freinent ou sabotent discrètement toute véritable initiative de paix. Dans un contexte de résurgence des rivalités entre grandes puissances, le Cameroun a su composer avec les intérêts d’acteurs mondiaux concurrents et les mettre à profit. Les gouvernements occidentaux, désireux de maintenir le Cameroun dans leur sphère d'influence et craignant l'engagement croissant de la Russie et de la Chine, n'ont pas exercé de pression en faveur de la paix.
Insister pour que des négociations aient lieu risquerait de compromettre les relations avec Yaoundé, ce que les capitales occidentales souhaitent éviter à tout prix, note un analyste. Qui poursuit : « Le cas du Cameroun révèle une tendance plus large. Partout en Afrique et au-delà, la norme post-guerre froide consistant à résoudre les conflits politiques par la négociation perd du terrain. Les approches militarisées deviennent plus fréquentes, tolérées, voire encouragées par les grandes puissances. Cela vaut surtout quand les régimes en place protègent leurs intérêts stratégiques. Cette évolution redessine discrètement les règles de la résolution des conflits et fait peser de lourdes menaces sur la paix et la démocratie. Entre 2019 et 2022, la Suisse a tenté de faciliter les pourparlers de paix entre l'État camerounais et divers groupes séparatistes. Ce processus a échoué, en grande partie à cause de la froideur et du manque d'engagement du gouvernement camerounais. Lorsque l'initiative suisse a été discrète- ment abandonnée, il n'y a eu que peu de réactions au niveau international. La capacité du Cameroun à se retirer des efforts de facilitation tout en intensifiant ses opérations militaires est le résultat de ses manœuvres diplomatiques dans le cadre de la rivalité franco-russe. En signant un accord militaire avec la Russie en avril 2022, le Cameroun a signalé à la France et à d'autres pays qu'il dis- posait d'options diplomatiques. Cette décision aurait incité la France à adopter une position plus souple, autorisant Yaoundé à agir à sa guise tant qu'elle restait dans la sphère d'influence française. La visite du président français au Cameroun quelques mois plus tard va renforcer l'idée que les relations stratégiques primeraient sur la résolution du conflit ou les normes démocratiques ».