La crise immobilière en Chine va-t-elle provoquer une récession mondiale ?

"Quand j'y pense, je pleure. C'est dur, et j'ai de la peine pour mon fils et pour moi".

En 2021, Guo Tianran [nom fictif] et son mari ont acheté un "appartement sur plan" - des unités qui n'ont pas encore été construites - à Evergrande, l'un des plus grands promoteurs immobiliers de Chine.

Avec des dettes estimées à plus de 300 milliards de dollars, Evergrande s'est placé sous la protection de la loi américaine sur les faillites en août.

Lorsque le monde a appris pour la première fois que le géant de l'immobilier n'avait pas été en mesure de rembourser sa dette en 2021, la société possédait un grand nombre d'appartements inachevés - les médias estiment qu'il y en a environ 1,5 million.

Mais nombre d'entre eux avaient déjà été vendus à des personnes comme M. Guo.

"Nous voulions aider notre fils, lui donner un endroit où démarrer une fois qu'il aura obtenu son diplôme universitaire", explique-t-elle à la BBC depuis son domicile dans la province du Henan, dans le centre de la Chine.

Guo et son mari - tous deux proches de la soixantaine - ont dû trouver plus de 30 000 dollars pour le versement initial et remboursent déjà l'hypothèque mensuelle de 811 dollars.

"Cela nous a laissé moins de 274 dollars par mois à notre disposition, ce qui est à peine suffisant pour les besoins de base. Mais nous étions préparés à cela lorsque nous avons décidé d'acheter".

Ils s'attendaient également à prendre possession d'un appartement fini, bien sûr, du moins un jour ou l'autre.

Certains acheteurs sont allés chercher de l'aide sur Douyin, la version chinoise de TikTok ou Weibo.

Un homme explique dans une vidéo qu'il doit avoir trois emplois parce qu'il ne peut pas emménager dans son appartement inachevé - mais qu'il doit quand même payer l'hypothèque - et qu'il doit continuer à louer.

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En 2021, des manifestations ont eu lieu devant le siège d'Evergrande à Shenzhen, dans le sud du pays.

Lors d'une manifestation plus récente, des acheteurs mécontents ont scandé "la construction s'arrête, l'hypothèque s'arrête. Livrez les maisons et faites-vous rembourser !"

Ce qui frustre et met en colère Guo, c'est qu'elle n'a aucune idée si l'appartement sera un jour livré.

Guo raconte qu'on lui a dit qu'elle recevrait les clés de son nouvel appartement en décembre 2023.

"Nous avons vu l'ossature principale se construire et nous avons soudain entendu dire qu'Evergrande était en train de s'effondrer. Puis la construction s'est arrêtée l'année dernière.

Comment la crise d'Evergrande a-t-elle commencé ?

Pendant des années, le secteur immobilier chinois a levé des fonds pour de nouveaux projets en empruntant auprès des banques, en émettant des obligations et en vendant des logements neufs sur plan aux acheteurs.

Ce modèle commercial existe depuis longtemps dans de nombreux pays, mais les promoteurs chinois ont un effet de levier excessif, c'est-à-dire qu'ils empruntent trop d'argent.

"Beaucoup d'entre eux sont devenus très agressifs", déclare Sandra Chow, responsable de la recherche Asie-Pacifique à la société d'analyse du marché du crédit CreditSights.

"D'une part, ils ont émis des obligations pour des investisseurs étrangers et ont ensuite utilisé l'argent récolté pour acheter davantage de terrains et développer leurs activités.

"D'autre part, elles sont devenues très dépendantes des ventes contractuelles [sur plan] pour obtenir des financements. Lorsque le produit des ventes contractuelles a cessé de rentrer, les gens ayant cessé d'acheter des maisons, tout a commencé à s'effilocher".

Alicia Garcia-Herrero, économiste en chef pour l'Asie chez Natixis, société de gestion de patrimoine, constate également des problèmes structurels dans le secteur.

"À mon avis, l'ensemble a été conçu trop facilement pour les promoteurs", dit-elle.

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"La Chine s'est habituée à une croissance facile du secteur immobilier. Les chiffres sont stupéfiants : un tiers de la croissance économique du pays provient du secteur immobilier. Ce secteur a créé des emplois et de la richesse.

M. Chow décrit cette situation comme "une sorte de scénario de la poule et de l'œuf".

"Si l'on pense, par exemple, à la quantité d'acier et de ciment nécessaire à la construction d'un bâtiment, puis à la demande de produits blancs, de meubles, de lampes, etc. que les gens installent dans les appartements, le secteur immobilier a été, indirectement, un énorme moteur de l'économie chinoise, en particulier de l'industrie manufacturière.

Pour M. Garcia-Herrero, cette importance relative pose problème : "La production économique ou le PIB de la Chine se compose d'un tiers d'infrastructures, d'un tiers d'industrie manufacturière et d'un tiers d'immobilier".

"Le marché boursier américain est beaucoup plus important que celui de la Chine. Cependant, 20 % des actifs cotés en bourse en Chine sont liés à l'immobilier, alors qu'aux États-Unis, ce chiffre n'est que de 5 %. Il est évident que ce secteur est hypertrophié en Chine."

Après Evergrande, les problèmes d'endettement d'un autre géant - Country Garden - ont fait surface cette année. Il a annoncé une perte record de 6,7 milliards de dollars pour les six premiers mois de l'année.

Une banque d'investissement japonaise estime que le promoteur doit encore achever un million de logements.

"J'ai failli acheter un appartement à Country Garden", raconte Zhang Ming, 31 ans, originaire du Henan. "Cela aurait été ma maison conjugale. Mon petit ami et moi allons nous marier en mars prochain.

En Chine, comme dans de nombreuses cultures, la possession d'un bien immobilier est considérée comme une condition préalable essentielle au mariage.

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"La maison de mes parents a été construite par Country Garden - nous avons été impressionnés et on nous a dit que nous pourrions obtenir une bonne remise en août.

Mais elle a changé d'avis lorsqu'elle a appris que Country Garden était sur le point de faire défaut, c'est-à-dire de ne pas rembourser une dette.

La crise immobilière a fortement ébranlé la confiance d'un grand nombre d'acheteurs potentiels - des gens comme Zhang - dans l'investissement immobilier.

"La génération de mes parents a connu deux décennies de hausse continue du marché immobilier chinois. Aujourd'hui, les gens autour de moi s'inquiètent tous de la dépréciation des prix de l'immobilier.

"Nous n'allons certainement pas reporter notre mariage parce que nous n'avons pas acheté une nouvelle maison. Je vais simplement devoir renoncer à l'idée de 'jeunes mariés vivant dans une nouvelle maison."

La crise d'Evergrande et de Country Garden aura-t-elle des répercussions sur le monde ?

Bien que les chiffres officiels montrent que les prix de l'immobilier n'ont que légèrement baissé ces dernières années, les preuves sur le terrain suggèrent que la réduction est plus substantielle.

"La richesse financière des ménages chinois est concentrée dans l'immobilier, à hauteur d'environ 80 %", explique Mme Garcia-Herrero.

"Lorsque vous voyez les prix baisser de 20 %, même si ce n'est que sur le papier, vous n'allez pas consommer si vous avez l'impression que votre richesse financière a soudainement été amputée".

Mme Garcia-Herrero pense que si la confiance dans l'immobilier diminue, la production économique diminuera également.

Les chiffres officiels du mois d'août montrent que les exportations ont chuté de 14,5 % en juillet par rapport à l'année précédente, tandis que les importations ont baissé de 12,4 %.

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Le taux de chômage des jeunes Chinois a dépassé les 20 % en mai.

Tout cela a renforcé les craintes d'un nouveau ralentissement de la croissance économique du pays cette année, ce qui, dans ce monde interconnecté, aurait des effets de grande ampleur.

Selon une étude réalisée par la Réserve fédérale américaine en 2019, les économistes ont estimé qu'une baisse de 8,5 % du PIB chinois entraînerait une chute de 3,25 % dans les économies avancées et de près de 6 % dans les économies émergentes.

Les analystes ont récemment abaissé les prévisions de croissance de la Chine pour 2023 à 4,5 %.

"La question se pose de savoir s'il s'agit d'un nouveau moment Lehman Brothers", déclare M. Chow.

En 2008, Lehman Brothers, l'une des plus grandes banques d'investissement des États-Unis, s'est déclarée en faillite en raison de son exposition à des créances douteuses liées à des prêts hypothécaires, ce qui a contribué à une récession mondiale massive.

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Toutefois, M. Chow pense que la Chine est plus à même de prendre des mesures que les États-Unis, "compte tenu de la structure du gouvernement [chinois] et de la manière dont les choses sont mises en œuvre".

"Il ne faut pas oublier que le gouvernement a l'intention de réduire le secteur de l'immobilier depuis un certain temps. Les décideurs politiques se rendent compte que certains promoteurs sont beaucoup trop agressifs, qu'ils empruntent trop."

Depuis 2019, le président chinois Xi Jinping répète un mantra selon lequel "le logement est fait pour vivre, pas pour spéculer".

Garcia-Herrero voit même un côté positif à l'éclatement de la bulle immobilière, car la Chine exporte un tiers des biens mondiaux.

"La baisse des prix en Chine pourrait ralentir l'inflation dans un monde qui la combat.

"Mais imaginons qu'ils fassent fausse route avec Country Garden, qu'une grande banque fasse faillite, que personne ne prenne de décision et que la perte de confiance se transforme en une crise financière massive. Si cela devait se produire, ce serait absolument horrible pour l'économie mondiale", prévient-elle.

Guo Tianran et de nombreux acheteurs d'Evergrande ne restent pas inactifs.

"Nous avons formé trois groupes WeChat, chacun comptant près de 500 personnes. Nous nous sommes organisés pour aller voir le gouvernement. Nous sommes si nombreux qu'ils ne peuvent pas l'ignorer."

"J'ai utilisé une partie de l'argent de ma retraite pour le versement initial. Nous allons payer un prêt hypothécaire pendant les 30 prochaines années. Nous ne voulons pas nous retrouver sans rien".

Guo explique à la BBC que les autorités locales l'ont avertie de ne pas parler aux médias et qu'on lui a dit que les travaux de construction allaient reprendre.

Quelques membres de son groupe se rendent chaque jour sur le chantier pour vérifier, mais ils n'ont vu que "quelques ouvriers" jusqu'à présent.

"Certains d'entre nous ont cessé de payer l'hypothèque et si la banque insiste trop, ils dormiront dans le hall de la banque.