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Actualités of Monday, 10 October 2022

Source: Mutations 5684

La crise du COVID-19 n’a pas frappé le commerce Cameroun-UE d’une façon préoccupante

L’ambassadeur-chef de délégation de l'UE s’est exprimé sur l’Ape qui lie le Cameroun et l'UE L’ambassadeur-chef de délégation de l'UE s’est exprimé sur l’Ape qui lie le Cameroun et l'UE

L’ambassadeur-chef de délégation de l’Union européenne, sans ambages, s’est exprimé sur l’Ape qui lie le Cameroun et la communauté qu’il dirige dans ce dernier pays à l’occasion d’un atelier le 28 septembre dernier à Douala.

Huit ans après l'entrée en vigueur de l'Ape, qu'est-ce qui a fondamentalement changé dans la relation commerciale entre l'Union européenne et le Cameroun ? Grâce à l'Accord de partenariat économique, entré en vigueur en août 2014, il y a donc déjà 8 ans, les produits camerounais ont un accès au marché européen sans payer de droits de douane et sans limitation quantitative.

S'il n'avait pas signé et ratifié l'Ape, le Cameroun n'aurait pas pu conserver cet accès privilégié au marché européen, que l'Union européenne lui avait accordé unilatéralement mais qui, selon les règles de l'Organisation mondiale du Commerce (Omc), ne pouvait être maintenu indéfiniment. Cet accès privilégié, rendu possible par l’Ape, a permis au Cameroun de continuer à exporter des produits comme la banane (dont il est, avec la Côte d'Ivoire et le Ghana, parmi les trois principaux exportateurs africains) et des produits transformés comme la pâte ou le beurre de cacao, l'aluminium ou le bois transformé.

Sans l'Ape, certains de ces secteurs, en particulier le secteur de la banane, qui emploie directement plus de 20 000 personnes au Cameroun, se seraient très probablement effondrés. Grâce à l'Ape, l'Ue, avec ses 27 États membres, reste de loin le principal partenaire commercial du Cameroun : plus de 40 % des exportations camerounaises sont destinées au marché européen. La structure des exportations vers l’Union européenne est par ailleurs beaucoup plus diversifiée que vers d’autres marchés tels que la Chine, qui sont dominées par l’exportation d’hydrocarbures.

Selon les statistiques d'Eurostat, l'organisme qui produit les statistiques officielles de l'Ue, la balance commerciale continue d'être en faveur du Cameroun : c'est-à-dire que le Cameroun exporte plus vers l'Ue qu'il n'importe. Venons-en maintenant à ce qui a changé… Disons qu'à partir d'août 2016, le Cameroun a commencé à éliminer progressivement l'application des droits de douane à l'importation sur certains produits en provenance de l'Ue.

Il s'agit principalement de produits intermédiaires, tels que les engrais, les semences, les tracteurs et les machines industrielles, utiles à l'industrie locale, ou les biens de consommation non produits localement et qui sont indispensables aux consommateurs locaux (médicaments, matériel médical, papier, ordinateurs). Cela a permis aux producteurs camerounais, qui importent ces biens intermédiaires d'Europe, de réduire les coûts de production, leur permettant soit de réduire, soit de ne pas augmenter, malgré la crise du COVID-19, les prix de leurs produits pour les consommateurs camerounais. Cette libéralisation progressive des importations en provenance de l’Ue se poursuivra jusqu’en 2029, mais ne touchera que 80% des catégories de produits importés de l’Ue.

Sur les 20% restants, des secteurs où la production locale entre en concurrence avec les produits européens importés, les droits de douane actuels peuvent être maintenus. Contrairement à ce qu'annonçaient certains analystes, l'accord n'a par conséquent nullement provoqué l'invasion des produits européens sur le marché camerounais et n'a pas eu d'effets négatifs sur l'industrie locale. Au contraire, comme je viens de l'expliquer, les effets sur l'industrie locale et les consommateurs ont été fondamentalement positifs.

Et que dites-vous des pertes, de plus en plus nombreuses, en droits de douanes ? Certes, l’élimination graduelle de droits de douanes sur certains produits importés d'Europe au profit des opérateurs économiques et des consommateurs camerounais, signifie moins de recettes fiscales pour l'Etat camerounais. Mais les pertes fiscales résultants de l’Ape sont de l'ordre de 42 milliards Fcfa de 2016 à aujourd'hui (mai 2022, dernières données disponibles) et sont loin d’être dramatiques (moins de 0,5% des recettes fiscales globales par an).

Ces pertes devraient par ailleurs être progressivement compensées par des réformes fiscales dans les années à venir, remplaçant la fiscalité de porte par l’élargissement de l’assiette de la fiscalité domestique, alors que les bénéfices pour les opérateurs et les consommateurs ne feront qu'augmenter au fil des années. Les bénéfices engendrés par les opérateurs peuvent par contre être réinvestis, accélérant la croissance économique et créant des emplois décents, à leurs tours, sources de nouvelles recettes fiscales.

L’impact fiscal net, prenant en compte ces effets déduis pourrait ainsi même ne pas être négative du tout. Mais l'Ape n'a que 6 ans, si l'on prend 2016 comme référence, année où le Cameroun a commencé à réduire les droits de douane à certains droits européens, et on peut ainsi dire que l’accord est encore trop jeune pour qu’on veuille, de manière exhaustive, en évaluer les effets.

Mais une chose est sûre : pour les opérateurs économiques (producteurs, importateurs et producteurs) et pour les consommateurs camerounais, l'Ape a sans ambiguïté aucune produit des effets positifs, pour certains plus et pour d'autres moins, et contrairement à certaines prévisions alarmistes initiales, n'a pas produit d'effets négatifs. Avec la survenue du COVID-19, on a l'impression que cet accord avec l'Ue a pris un coup avec la fermeture des frontières, qu'est ce qui est fait pour rattraper le gap ? Il s’agit, comme vous le dites, d’une impression. Selon Eurostat, s’il est vrai qu’en 2020, c’est-à-dire en pleine crise COVID-19, les exportations du Cameroun vers l’Ue ont légèrement baissé (1,5 milliards d’euro), suivant ainsi la tendance mondiale, il n’en demeure pas moins vrai qu’en 2021, ces exportations (1,7 milliards d’euro) sont revenues aux valeurs de la moyenne des années précédentes.

Donc, la crise COVID-19 n’a pas frappé le commerce Cameroun-Ue d’une façon trop préoccupante. Depuis le lancement de l’Ape entre le Cameroun et l'Ue, on n'a pas l'impression que les pouvoirs publics peinent à accompagner les entreprises camerounaises. Par conséquent la mise à niveau est embryonnaire. Que fait l'Union européenne pour améliorer cette situation ? En prévision du constat selon lequel l’élimination des obstacles tarifaires pourrait ne pas suffire à booster les exportations camerounaises, l’Ape a prévu un important volet de coopération au développement.

En effet, pour accompagner les opérateurs économiques camerounais à mieux bénéficier de l’Ape, l’Ue et ses Etats membres financent plusieurs programmes pour le renforcement de la productivité et de la compétitivité. Par exemple, le programme Pacom (Programme d’appui à l’amélioration de la compétitivité de l’économie camerounaise) de 10 millions d’euros, a été mis en œuvre entre 2013 et 2018, pour faciliter le développement d’infrastructures de qualité, le dialogue public-privé et l’amélioration de la productivité des entreprises camerounaises.

En 2019 le Pacom a été remplacé par un autre programme de 10 millions d'euros, actuellement en cours. Il s’appelle « Dispositif d'appui à la compétitivité du Cameroun (Dacc)».

La Banque européenne d’Investissement-Bei soutient les entreprises camerounaises dans leur accès aux financements à travers des lignes de crédit aux banques commerciales locales, qui ont permis de financer les Pme camerounaises à hauteur de 34 millions d’euros sur la période 2019-2020. Le programme Fit for Market de Coleacp a accompagné les producteurs agricoles pour atteindre la conformité aux règles phytosanitaires européennes dans la filière horticole.

Au Cameroun, le financement de ce programme pour la période 2016-2020 s’est élevé à 1,9 millions d’euros. Vu le succès de ce programme, clôturé récemment, un nouveau programme de Coleacp, Fit For Market + est en cours de démarrage : une cérémonie de lancement aura lieu à Douala le 14 octobre. Un accompagnement adapté dont bénéficient également certaines chaînes de valeur camerounaises, tels que le coton ou le cacao. En appui du secteur de la banane, l’Ue a financé des mesures d’accompagnement pour un montant dépassant 40 millions d’euros entre 2015 et 2022.

L’Ue compte également continuer à accompagner le Cameroun et ses entreprises dans de la mise en œuvre de l’Ape dans son nouvel cadre financier pour les années 2022 à 2027. Mais la compétitivité de l’économie camerounaise dépend surtout aussi de l’environnement des affaires et des infrastructures d’appui. Depuis plus de dix ans, l’Ue avec d’autres partenaires internationaux, soutient le « Cameroun Business Forum » en tant que plateforme de dialogue entre le gouvernement et le monde des affaires.

Au niveau régional, l’Union européenne finance plusieurs programmes intégrateurs, y compris des infrastructures de transport (réhabilitation du chemin de fer et de plusieurs tronçons du corridor Douala – Yaoundé – Bangui/Ndjamena) ou des actions de facilitation du commerce, et prochainement aussi des nouveaux programmes d’appui aux institutions qualifiantes pour aider les entreprises à s’adapter aux normes techniques et sanitaires ou phytosanitaires européennes.

Plusieurs produits camerounais, notamment les fruits et légumes, continuent d'être refoulés aux portes de l'Union européenne, pour non-respect des normes en matière d'utilisation des pesticides. A quoi sert finalement un instrument comme le Coleacp ? Les cas de refoulement des marchandises importées au frontières de l’Europe pour des raisons de sureté des aliments se trouvent dans une base de données accessible en ligne : la RASFF, ou en anglais « Rapid Alert System for Food and Feed ».

Selon cette base de données, jusqu’à novembre 2020, seulement 15 tonnes de ces marchandises ont été refoulées par l’Ue (une dizaine de tonnes d’ananas, un peu d’arachide, du haricot, du piment et du café) : pas même un millionième de la quantité totale des produits exportées par le Cameroun vers l’Ue. Ni le cacao, ni la banane n’apparaissent sur la liste de produits refoulés. Les motifs de ces quelques refoulements ? Principalement, la présence de substances connues pour leur cancérogénicité et donc interdites en Europe : des colorants, des aflatoxines (moisissure), enfin des pesticides.

S’agit-il réellement de mesures disproportionnées, imposées d’une manière abrupte ? Loin de là. S’il est vrai qu’il y a un renforcement graduel des règles européennes en matière de la présence des pesticides dans les produits alimentaires, ces règles sont justifiées par l’objectif de protéger la santé des consommateurs et l’environnement et n’arrivent pas par surprise.

Ces mesures s’appliquent par ailleurs à l’ensemble des produits en vente sur les marchés européens, qu’ils soient produits localement ou importés, et sont donc tout à fait indépendantes de l’Ape. Par contre le programme Coleacp, que je viens juste de mentionner, a précisément comme but d’améliorer la qualité des produits horticoles camerounais et de réduire le taux de refoulements de ces produits en cas d’exportation vers l’Ue. En novembre 2017, la délégation de l'UE a formé les acteurs nationaux de la chaîne d'exportation sur les enjeux d'utiliser le guide Trade Helpdesk pour accéder au marché de l'Union européenne. Y a-t-il eu des changements par la suite quant à la baisse enregistrée au niveau du refoulement des produits camerounais ?

Nous continuons régulièrement notre activité d’information et sensibilisation sur l’Ape et sur la plateforme informatique, accessible gratuitement sur internet, qui permet à tout opérateur économique de connaître la réglementation applicable aux produits mis en circulation sur le marché européen, y inclus les produits importés. Cette plateforme, qui est une version améliorée de Trade Helpdesk, s’appelle maintenant « Access 2 Markets », facilement accessible sur internet en composant le nom sur un moteur de recherche. La semaine dernière, par exemple, nous avons tenu un atelier à Douala, avec la participation d’environ 200 opérateurs économiques, ou nous avons expliqués, entre autres, le fonctionnement de cette plateforme.

Bien sûr, même si la plateforme donne de l’information très utile, elle ne peut pas toute seule aider les opérateurs à se mettre à niveau. Pour cela il y a les autres programmes que je viens de mentionner, en particulier les programmes Dacc et Coleacp Fit for Market +. Pensez-vous que le Cameroun est compétitif sur le marché européen étant donné qu'il exporte uniquement des matières premières ? Qu'est ce qui est fait pour changer la donne ? C’est vrai que le potentiel du Cameroun à produire et exporter des produits transformés n’est pas encore suffisamment exploité, mais je ne suis pas d’accord avec votre affirmation que le Cameroun exporte uniquement des matières premières vers l’Ue.

Le Cameroun est l’économie la plus diversifiée de l’Afrique centrale, aussi en termes d’exportations vers l’Ue. Comme je l’ai dit en répondant à votre première question, le Cameroun exporte déjà vers l’Ue des produits transformés comme la pâte ou le beurre de cacao, l'aluminium ou le bois transformé. Les exportations de produits transformés à base de cacao vers l’Ue ont même augmenté de 83% depuis 2010, pour atteindre 109 millions d’euros en 2019. Sans l'Ape, ces exportations seraient frappées par des droits de douane et ne seraient plus compétitives, en termes de prix, par rapport aux produits concurrents mis en circulation sur le marché européen. Donc l’Ape est déjà un élément essentiel pour rendre compétitifs les produits camerounais exportés vers l’Ue.

Il est clair, toutefois, que la compétitivité d’un produit ne se mesure pas seulement en termes de prix, mais aussi de qualité. C’est pour cela que la plupart des programmes financés par l’Ue et ses Etats membres en appui du secteur privé au Cameroun ont comme objectif d’accompagner les entreprises (surtout les Pme) à améliorer leur compétitivité non seulement en termes de coûts de production, mais aussi en termes de qualité. Le poivre de Penja est un bel exemple de réussite. Il s’agit du deuxième produit africain ayant obtenu une indication d’origine géographique sur le marché européen, label de qualité qui permet de positionner le produit dans le segment haut de gamme et de le retrouver sur les meilleures tables dans l’Ue !

Pour ce faire il a dû parcourir tout un processus de contrôle et de certification de qualité mais le prix de vente a facilement doublé sur les marchés internationaux. Cela dit, il y a encore beaucoup de travail à faire au Cameroun et en Afrique centrale dans le domaine de l’infrastructure de qualité. C’est pour cela que l’Ue est en train de formuler un programme régional d’appui dans ce domaine qui devrait démarrer en 2023- 2024. En Afrique centrale, le Cameroun est le seul pays à avoir signé l'accord de partenariat économique avec l'Ue. Pourquoi ne pas installer des unités de production, voire des industries, pour couvrir la demande sous régionale ?

Vous posez une question très pertinente. En effet, un des objectifs de l’Ape est de contribuer à l’intégration graduelle dans le commerce mondial, l’accélération de la croissance économique, la création d’emplois décents et le développement durable. Pour ceci il faut pouvoir attirer davantage d’investissements au Cameroun. En élargissant le choix et le caractère abordable des marchandises et des intrants d’origine Ue pour les consommateurs et les producteurs locaux, et en offrant aux exportateurs un accès libre au marché de l’Ue, l’Ape devrait rassurer les investisseurs locaux et internationaux qui recherchent un climat d’investissement prévisible.

D’autres facteurs entrent en compte aussi bien sûr, tels que le coût des infrastructures et services publics, la sécurité juridique ou la transparence dans la gestion de la chose publique. Mais les facilités d’accès au marché de l’Ue à travers un accord international qui lie les deux parties en présence, comme l’est l’Ape, sont indubitablement une incitation à l’investissement au Cameroun pour les investisseurs et producteurs locaux mais également les investisseurs internationaux qui souhaitent s’installer au Cameroun pour produire localement et exporter dans l’Ue ou dans la sous-région.

Cette incitation à l’investissement au Cameroun devrait en outre être renforcée par la poursuite de la mise en œuvre effective de l’intégration économique au sein de la Cemac et par les perspectives de l’accord sur la zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) qui a été signé et ratifié par le Cameroun et est soutenu politiquement et financièrement par l’Ue. Alors pourquoi on n’assiste pas à une augmentation significative d’installation de nouvelles unités de productions au Cameroun qui pourraient profiter des facilitations de l’Ape et de la Zlecaf?

Outre l’environnement des affaires et un climat d’investissement pas très favorable, il y a différentes raisons qui peuvent expliquer pourquoi les opportunités offertes par l’Ape et la Zlecaf ne sont pas encore suffisamment exploitées. La plus évidente est que la Zlecaf n’est pas encore opérationnelle et que l’Ape reste encore assez méconnu. Au Salon Promote 2022, par exemple, nous nous sommes rendus compte que plus de la moitié des opérateurs ne connaissaient pas l’Ape ou ne savaient pas comment en bénéficier, même parmi des opérateurs de grande taille. Nous pouvons penser que cela est d’autant plus vrai pour les Pme. D’autres facteurs, plus exogènes et conjoncturelles, ont également joué, tels que la crise COVID-19 qui a considérablement ralenti les activités commerciales internationales ou l’agression russe contre l’Ukraine qui a accéléré les pressions inflationnistes à la sortie de la crise COVID-19 et qui pèse sur la conjoncture économique internationale.