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Actualités of Friday, 26 August 2022

Source: Kalara

Justice : un enseignant condamné à la prison à vie pour une affaire de 106 millions

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En compagnie d’un collègue, il avait usé de trois fausses décisions du ministre des Finances autorisant le déblocage à leur profit de 106 millions de francs en paiement des frais de stages jugés fictifs à l’étranger. Le Tribunal criminel spécial les a sévèrement punis en leur infligeant de lourdes peines.


M. Danbe Wourso, surveillant général au lycée classique de Mokolo dans la région de l’Extrême-Nord, et de M. Komono Bedziga Barthelemy, enseignant au lycée général d’Obala, manqueront à l’appel dans quelques semaines lors de la rentrée scolaire qui se profile à l’horizon. Les deux enseignants de lycée sont frappés de lourdes condamnations depuis jeudi dernier, 18 août 2022. En vidant sa saisine dans une affaire qui concerne les deux malheureux, Tribunal criminel spécial (TCS) les a tous déclarés coupables de coaction détournement des fonds publics. Il a condamné le premier à 12 ans de prison ferme. Le second, quant à lui a été frappé de l’emprisonnement à vie. Il était jugé par contumace depuis le début de la procédure judiciaire.

Selon l’accusation, les faits sanctionnés s’étaient déroulés entre décembre 2017 et mars 2018. Le détournement des fonds publics en question, une somme totale de 106,3 millions de francs, avait été opéré au moyen de trois fausses décisions de décaissement d’argent. Des documents prétendument signés par le ministre des Finances au profit des accusés pour le paiement des frais de trois stages fictifs de perfectionnement à l’étranger, précisément à Berlin en Allemagne, à Genève en Suisse et à Dubaï aux Emirats Arabes Unis.

En plus des peines de prison, les mis en cause sont également condamnés à la restitution «solidaire» des fonds litigieux à l’Etat du Cameroun, partie civile (victime) dans le procès. S’y ajoute un montant de 500 mille francs représentant le coût des frais de procédure déboursés par le ministre des Finances. Le non-paiement des frais évoqués est assorti de 30 mois supplémentaires de prison. Le tribunal a privé les enseignants incriminés de certains droits civiques pendant cinq ans, lorsqu’ils auront chacun purgé leurs peines respectives, et ordonné la publication du jugement dans le quotidien gouvernemental Cameroon Tribune.

Dubaï, Genève, Berlin

Avant de prononcer ce verdict, le tribunal est longuement revenu sur le fond de l’affaire en rappelant les arguments des différentes parties au procès. Comme déjà mentionné, les accusés avaient usé des décisions critiquées pour se faire payer l’argent en cause servant au paiement des frais de prétendus stage de perfectionnement à l’étranger portant sur «le développement durable». L’argent à problème a été décaissé de la manière suivante : 38,8 et 37,9 millions de francs en octobre et novembre 2017, respectivement pour les stages à Dubaï et à Genève, et 31,8 millions de francs en février 2018, pour le séjour en Allemagne.

Après la découverte du forfait, grâce aux vérifications menées à la direction générale du Budget qui avaient permis de découvrir que les décisions de déblocage au centre du procès n’avaient aucune trace dans les archives de cette administration. Mis au courant, M. Komono Bedziga avait préféré prendre la fuite, quand son compagnon d’infortune était interpelé, et plus tard placé en détention provisoire à la prison centrale de Yaoundé en mars 2021. M. Danbe Wourso s’était rendu à la direction générale du Budget pour s’enquérir, disait-il, des raisons de la suspension de son salaire.

Pour asseoir l’accusation, le parquet s’est contenté de verser aux débats les décisions de déblocage de fonds arguées de faux, disant se passer de l’audition des témoins. En revanche, pendant son témoignage, M. Danbe Wourso, enseignant d’histoire-géographie, s’était défendu en racontant qu’il bénéficiait de quelques avancements. Il avait ainsi constitué un dossier afin d’obtenir un rappel d’un montant de 2,5 millions de francs. Mais lorsqu’il s’est rendu au siège du ministère des Finances à Yaoundé pour déposer ledit dossier, deux individus disant travailler dans cette administration l’avaient approché, se proposant de faire vite aboutir sa demande moyennant une commission.

M. Danbe Wourso ajoutait que les facilitateurs en question lui avaient demandé de leur remettre en plus du fond du dossier du rappel, la photocopie de son bon de caisse et celle de sa carte nationale d’identité. Deux pièces qu’il avait remises sans signatures, précise-t-il, affirmant avoir accepté l’offre sans arrière-pensées. Le rappel sollicité sera payé effectivement, indique-t-il, en deux tranches de 1 et 1,5 million de francs. Des fonds que ses partenaires lui ont remis, précise-t-il, en mains propres lors d’un rendez-vous au lieu-dit «Camp SIC Messa» à Yaoundé.

Mauvaise foi

Pour confondre l’enseignant d’histoire-géographie, l’accusation lui avait opposé, pendant son contre-interrogatoire, que non seulement il était passé aux aveux complets après son interpellation, et, surtout, il avait reconnu pendant les enquêtes que la «signature identique» apposée trois fois aussi bien sur les photocopies de sa carte d’identité que celle de son bon de caisse était la sienne. Lesdites pièces accompagnent d’ailleurs la décision de déblocage de la somme de 38,8 millions signées à son profit, M. Danbe Wourso a clamé son innocence se disant «victime de la ruse des malfaiteurs» qui se sont servi de ses documents pour «opérer leur entreprise criminelle» en imitant sa signature. Et s’il a un temps reconnu le forfait déploré, c’est parce qu’il ne comprenait pas exactement les griefs portés contre lui.

En motivant donc sa décision, le tribunal a indiqué que les décisions de déblocage litigieuses sont des subterfuges usités par les mis en cause pour siphonner les caisses du Trésor public. Il a ensuite estimé que la fuite de M. Komono Bedziga «traduit l’absence d’arguments pour se défendre» face à l’accusation portée à sa charge. Il a ensuite balayé la défense de M. Danbe Wourso en jugeant ce dernier de «mauvaise foi», car il est passé aux aveux complets pendant les enquêtes sans apporter la preuve que ces aveux lui ont été extorqués. Mieux, poursuit le tribunal, «[M. Danbe Wourso] était bien conscient de l’entreprise criminelle» déplorée. La preuve, insiste le tribunal, «le rappel ne se paie pas dans la rue mais par virement au même titre que le salaire».

En guise de dernier mot, avant que les juges ne se retirent pour s’accorder sur le quantum des peines à infliger aux mis en cause, M. Danbe Wourso, a prié «[sa] famille de prendre soin de [ses] enfants qui aimeraient bénéficier de [son] encadrement». Les derniers mots de ce condamné ont déclenché un torrent de larmes sur les joues de son épouse venue assister au verdict du procès de son chéri désormais au ban de la société.