Actualités of Wednesday, 3 September 2025

Source: www.camerounweb.com

J’ai été emprisonné, et je suis maintenu en prison pour des mobiles strictement et exclusivement politiques - Marafat Hamidou Yaya donne des consignes

Marafat Hamidou Yaya Marafat Hamidou Yaya

Près de dix ans après son incarcération, l'ancien ministre d'État Marafa Hamidou Yaya brise le silence depuis sa cellule. Dans cette interview exclusive accordée à Germinal, l'ex-bras droit de Paul Biya livre une analyse sans concession du système judiciaire camerounais et révèle les dessous d'une guerre de succession au sommet de l'État. Entre règlements de comptes politiques déguisés en affaires judiciaires et instrumentalisation de l'Opération Épervier, l'homme qui avait conseillé au président de ne pas briguer un nouveau mandat en 2011 dévoile les rouages d'un pouvoir qu'il a longtemps servi avant d'en devenir la victime. Un témoignage explosif sur la nature du pouvoir au Cameroun.


Germinal :
Aviez-vous imaginé, avant votre interpellation, compte tenu des services rendus au régime que vous avez loyalement servi pendant plusieurs années, qu’un jour vous pourriez vous retrouver derrière les barreaux du fait des manœuvres des personnes que vous avez servies ?
Autrement dit, votre interpellation vous avait-elle surpris ?
M.H.Y. :
L’Opération Épervier, je l’ai dit par ailleurs, a été détournée de sa vocation initiale, qui était de lutter contre la corruption par le moyen d’une justice indépendante. Elle s’est transformée en un instrument d’intimidation et de règlement de comptes politiques.
Tout ministre au Cameroun, sa réputation et son honnêteté fussent-elles entières, sait qu’il peut à tout moment être mis en prison pour des raisons politiques habillées, plus ou moins adroitement, en affaire judiciaire.
Peu importe qu’il soit innocent : une partie de l’opinion publique y verra la juste sanction de sa seule participation au gouvernement.
Dans mon cas, le fameux : « vous étiez un pilier du régime » suffit à justifier une sanction expiatoire.
Germinal :
Si vous faites abstraction de tout ce qui a été dit et écrit, comprenez-vous pourquoi vous êtes ici ?
M.H.Y. : J’ai été emprisonné, et je suis maintenu en prison pour des mobiles strictement et exclusivement politiques.
L’ONU a demandé la libération de M. Engo [Pierre Désiré, Ndlr] : il est libre aujourd’hui. L’ONU a demandé la libération de M. Atangana [Michel Thierry, Ndlr] et de Mme Eyoum [Lydienne Yen, Ndlr] : ils sont libres.
Malgré la demande de l’ONU de me libérer, malgré tous les appels internationaux en ma faveur, je reste prisonnier. Preuve, si besoin était, que mon cas relève d’une autre catégorie.
Germinal :
Après les différents verdicts rendus en votre défaveur, quel regard jetez-vous sur la justice camerounaise ?
M.H.Y. : Mon affaire a été jugée par trois instances :
1. Le Tribunal de Grande Instance du Mfoundi m’a condamné à 25 ans d’emprisonnement pour « complicité intellectuelle de détournement de fonds publics », un crime qui n’existe pas en droit camerounais.
2. La Cour Suprême a cassé et annulé ce jugement, réduisant ma peine à 20 ans. L’arrêt établit clairement que sa Section spécialisée, devant laquelle j’ai comparu les 17 et 18 mai 2016, m’avait condamné deux semaines avant de me juger !
3. Le Groupe de Travail des Nations Unies sur la Détention Arbitraire, au terme d’une procédure contradictoire de plusieurs mois, et après examen des milliers de pièces fournies par les avocats de l’État et les miens, a rendu une décision demandant ma libération immédiate ainsi qu’une indemnisation de mon préjudice.
Mon regard sur la justice camerounaise ne diffère pas de celui de nos compatriotes ou de la communauté internationale. Dans l’Index Mo Ibrahim 2016, qui fait autorité en matière de gouvernance, notre justice est classée 42e sur 54 pays africains pour son indépendance.
Cela m’attriste, car nos juges sont pour la plupart de grande qualité, mais ils n’ont guère de moyens de résister à la pression du pouvoir exécutif. Je ne désespère pas, cependant, que certains d’entre eux — à l’exemple de leurs confrères malgaches — décident de relever la tête.
Germinal :
Faut-il désespérer de notre justice ? Comment la rendre véritablement indépendante de l’exécutif ?
M.H.Y. : Non, il ne faut pas désespérer, car nous avons parmi nos juges des magistrats de première catégorie.
Mais il serait illusoire de prétendre réformer notre système judiciaire sans toucher à la structure et au fonctionnement de nos institutions politiques. Autrement dit, tant que, de par la loi, nous aurons un président à vie, nous aurons une justice aux ordres.
Germinal :
Est-ce qu’il vous est déjà venu à l’esprit de demander la grâce présidentielle ? Pourquoi ?
M.H.Y. : Non. La grâce présidentielle n’est pas un droit. Elle s’accorde, elle ne se demande pas.
Germinal :
Récemment, vous avez affirmé chez un confrère que vous êtes à la fois prisonnier du système et de M. Paul Biya. Cela veut dire que ce n’est pas seulement parce qu’en 2011 vous avez conseillé à M. Biya de ne pas se représenter à la présidentielle que vous payez le prix fort.
Connaissez-vous les autres personnes au sein du régime qui vous en veulent ? Pouvons-nous avoir une idée de ces personnes et de leurs motivations ?
M.H.Y. : Mon propos entendait justement se placer au-dessus des personnes, qu’il s’agisse de celles qui souhaitent se maintenir au pouvoir ou de celles qui veulent y accéder. Je mettais en cause ce système global dont nous sommes tous, peu ou prou, responsables.
Cela dit, mon incarcération s’inscrit clairement dans un contexte de guerre de succession, exacerbée par les rivalités entre :
* les partisans d’un statu quo, soucieux de préserver leurs prébendes,
* et ceux qui, plus ambitieux mais sans talents, en sont réduits à instrumentaliser la justice pour écarter tout concurrent potentiel sérieux.
Germinal :
Au cours des nombreuses années passées aux côtés du président de la République, en tant que très proche collaborateur, avez-vous appréhendé sa conception du pouvoir politique suprême ?
M.H.Y. : Sa façon d’exercer le pouvoir tient à deux choses :
1. Son caractère : réfléchi, prudent, conservateur, naturellement méfiant (les évènements de 1984 ont accentué ce trait), pessimiste quant à la nature humaine, secret, mystique jusqu’à l’occultisme, charmeur, jovial.
2. La pratique institutionnelle héritée de son prédécesseur : une tradition faite de clientélisme tribalo-religieux, de répressions violentes des manifestations antigouvernementales, et d’instrumentalisation du sentiment national.
La suite en lisant le livre de Marafa, le choix de l’espoir.
Disponible à Yaoundé à la librairie des peuples noirs ; à Douala, à la librairie professionnelle.