Actualités of Monday, 6 October 2025

Source: www.camerounweb.com

Issa Tchiroma n’est pas notre avenir. Il est l’outil pour le reprendre… Rebecca Enonchong

Rebecca Enonchong Rebecca Enonchong

Issa Tchiroma n’est pas notre avenir, il est l’outil pour le reprendre » : Rebecca Enonchong justifie, dans une tribune percutante, pourquoi le Cameroun pourrait utiliser le « brigand » Tchiroma comme mercenaire politique pour briser un système verrouillé depuis des décennies. Une stratégie cynique, mais assumée, pour reprendre le contrôle d’une « maison » confisquée.



ISSA TCHIROMA N’EST PAS NOTRE AVENIR. IL EST L’OUTIL POUR LE REPRENDRE… Par Rebecca ENONCHONG
” Imaginez une maison appartenant à une famille. Pendant des générations, elle y a vécu, mais cette maison a été saisie par des voleurs sophistiqués. Ils n’ont construit et réparé que ce qui facilitait leur pillage. Ils ne se souciaient pas de la famille, seulement de leurs butins. Cette maison, c’est notre pays. Cette famille, c’est nous.
Nous avons combattu. Notre sang a coulé. Trop sont morts. Et lorsque les voleurs sophistiqués ont finalement rendu les clés, ils ont aussi choisi l’homme qui les tiendrait à notre place. Ahidjo, le premier maître de maison, gardait les lieux assez propres. Les sols étaient balayés, la façade fraîchement repeinte. Mais il n’a jamais été notre maître de maison. Il protégeait surtout les intérêts des voleurs sophistiqués, pas vraiment les nôtres.
Quand il a décidé de se retirer, avons-nous pu choisir son successeur ? Bien sûr que non. Il a choisi lui-même son remplaçant. Au début, nous avons cru que peut-être ce nouveau maître de maison serait différent. Qu’il ouvrirait les portes et laisserait enfin les vrais propriétaires reprendre leur maison. Au lieu de cela, il s’est installé comme si la maison était son héritage personnel. Il a réécrit les règles de la maison, verrouillé l’accès aux autres pièces, et nous a empêchés de parler à quiconque aurait pu le remplacer. Il a acheté le soutien de certains membres de la famille avec de petites miettes pour qu’ils applaudissent son règne. La maison tombait en ruine, mais tant que son siège était assuré, il était satisfait.
Nous avons tenté la voie « normale ». Nous avons étudié des CV, débattu des programmes, et présenté des membres de la famille compétents et sérieux pour le poste. Chaque fois, le maître de maison claquait la porte. En réalité, la porte n’avait jamais été ouverte.
Personne, à l’extérieur, ne comprend comment nous avons pu laisser notre propre maison être volée si longtemps sans la reprendre. La vérité est plus simple et plus lourde. Nous n’avons jamais su ce que cela signifiait de choisir notre maître de maison. Nous n’avons jamais goûté à ce pouvoir. Privés de ce droit, nous avons fini par vivre comme des étrangers dans notre propre maison, survivant de ce que le maître de maison nous concédait, jamais de ce qui nous appartenait vraiment.
Une fois, nous avons failli réussir à l’expulser. 1992. Différentes factions de la famille se sont unies et ont choisi l’un de nos frères. Pas le plus brillant, pas le plus charismatique, mais celui qui pouvait rassembler assez de soutien pour enfin se débarrasser du maître de maison. Nous avions gagné. Mais le maître de maison a manipulé les règles, faussé le processus, et s’est déclaré vainqueur. Cette fois ce n’était pas la force. C’était la ruse. Et trop occupés à célébrer notre victoire, nous n’étions pas préparés au combat qu’il fallait mener pour la défendre. Nous l’avons laissée nous échapper.
Après cela, le maître de maison a rempli chaque recoin de la maison de gens dont le seul rôle était de le maintenir en place. Il a transformé notre foyer en forteresse. Dans cette maison qui n’était plus la nôtre, certains ont échangé leur dignité contre de petits conforts qu’il distribuait. Les autres restaient réduits à mendier ce qui avait toujours été leur droit de naissance.
Et puis il y avait les brigands. Ses hommes de main. Des individus qui savaient parfaitement justifier la brutalité tout en polissant son image. Le plus habile de tous ? Issa Tchiroma. Il est devenu l’apologiste en chef, l’homme qui a nié l’indéniable, justifié l’injustifiable, et défendu chaque abus qui nous maintenait à l’écart de notre propre maison.
Aujourd’hui, il veut devenir maître de maison lui-même. La réaction a été un dégoût jusqu’à l’os : Toi-ci ? Jamais ! Après des années à protéger le maître de maison et à mépriser notre douleur, tu penses que nous choisirions de te confier la lutte pour récupérer les clés que tu as contribué à nous refuser ?
Et pourtant, nous en sommes là. Les plus jeunes candidats ont de bons CV et les mains propres. Mais ce sont des bâtisseurs, pas des brutes. Leur rôle viendra une fois les verrous brisés. Soyons honnêtes : ce combat n’est pas une affaire d’idées ou de CV. Il ne s’agit pas de savoir qui gérera le mieux la maison. Il s’agit de savoir qui pourra casser les serrures, déjouer les ruses et forcer les portes qui nous en barrent l’accès depuis des décennies. Pour ce travail-là, les CV impeccables n’ont aucune chance. Leur heure viendra. Leur tâche sera la reconstruction.
Ce travail est plus sale. C’est gangster contre gangster. Autant cela va contre nos instincts, autant cela nous dégoûte, Tchiroma est le seul brigand qui connaît assez bien le système pour nous aider à l’abattre. Il en connaît les failles parce qu’il était dedans. Et n’oublions pas : il est vieux. Il sait, et nous savons, que c’est son dernier tour. Il nous est utile pour l’instant, mais il n’est pas là pour durer.
Alors nous lui donnons un contrat. Trois à cinq ans. Non renouvelable. Pas plus. Pas comme un dirigeant, pas comme un visionnaire. Comme un mercenaire, engagé pour une seule tâche : briser la forteresse et rendre la maison à ses vrais propriétaires.
Nous ne sommes pas naïfs. Un brigand ne se réveille pas un matin transformé en saint. Dès qu’il aura les clés, il cherchera des moyens de nous trahir. C’est dans sa nature. Mais nous ne comptons pas sur lui pour changer. Nous comptons sur nous pour changer. Pour la première fois, nous aurions choisi notre propre maître de maison, et cet acte seul marquera une rupture dans notre histoire. Si nous réussissons, quelque chose de fondamental basculera. Nous découvrirons notre pouvoir, et une fois qu’un peuple connaît son pouvoir, il ne le rend jamais. C’est cela, la véritable garantie. Pas ses promesses, pas son contrat. Nous. Si nous gagnons, plus jamais nous ne laisserons quiconque, pas même notre propre brigand, nous arracher ce pouvoir.
Ce n’est pas le chemin que nous voulions. C’est celui qui nous reste. Nous avons tout essayé, comme dans une maison normale. Nous avons combattu, négocié, menacé, nous avons même tenté de battre le maître de maison à son propre jeu. Dans une maison normale, une partie de cela aurait marché. Mais ça n’a jamais été une maison normale. Ici, chaque tentative se terminait par l’échec. Trop de sang a déjà été versé par nos parents, nos frères, nos sœurs pour reprendre cette maison. Nous ne pouvons pas continuer à payer de notre sang le loyer pour vivre chez nous. Nous choisissons donc une tactique dure et réfléchie, amère à avaler mais la seule capable de briser la forteresse et de rendre les clés à leurs vrais propriétaires.
Ce n’est pas un choix que nous célébrons. Mais c’est le choix que nous faisons. Tchiroma n’est pas notre avenir. Il n’est que le mercenaire que nous utilisons pour reprendre notre avenir.
Rebecca Enonchong
Douala, le 4 octobre 2025»