Actualités of Monday, 22 December 2025
Source: www.camerounweb.com
Comment l'opposant camerounais a-t-il réussi à tromper la vigilance des services secrets ? Entre complicités internes et erreurs de surveillance, l'enquête révèle un scénario rocambolesque.
Deux mois après la fuite spectaculaire d'Issa Tchiroma Bakary vers le Nigeria, le régime camerounais peine toujours à expliquer comment son principal opposant a pu franchir la frontière sous le nez de ses services de surveillance. Les révélations exclusives de Jeune Afrique sur cette affaire dessinent le portrait d'une opération minutieusement préparée qui a exploité toutes les faiblesses du dispositif sécuritaire.
D'après les éléments de l'enquête révélés par Jeune Afrique, l'exfiltration s'est déroulée le 27 octobre aux alentours de 22 heures. Le choix de l'horaire n'est pas anodin : c'est précisément le moment où les patrouilles de surveillance changent d'équipe à Garoua, créant une fenêtre de vulnérabilité d'environ une heure.
Le véhicule utilisé était une voiture banalisée, ce qui a permis de passer inaperçu dans les rues de la ville. Contrairement à ce que pourrait laisser penser le profil médiatique d'Issa Tchiroma Bakary, aucun convoi n'a été repéré, aucun mouvement suspect n'a alerté les forces de l'ordre. L'opposant serait parti comme n'importe quel citoyen ordinaire.
Le trajet vers Yola, ville nigériane située à moins de 200 kilomètres de Garoua, a pris environ cinq heures aller-retour. Jeune Afrique révèle que les postes-frontières informels, nombreux dans cette zone, ont probablement été utilisés pour éviter les contrôles officiels où l'identité de Tchiroma aurait immédiatement déclenché une alerte.
Dans son message annonçant son exil, Issa Tchiroma Bakary a fait référence à des "soldats loyaux" qui l'auraient aidé. Cette déclaration, longtemps considérée comme une simple figure de style, prend désormais tout son sens à la lumière des investigations menées par Jeune Afrique.
L'arrestation puis la libération du capitaine Talla Foba témoignent de l'existence de sympathisants au sein même de l'appareil sécuritaire. Que ce gradé soit ou non directement impliqué, le simple fait que des doutes existent sur sa loyauté illustre la porosité du système. L'opposition camerounaise disposerait donc de relais au sein des forces de défense, une situation inédite qui inquiète fortement la hiérarchie militaire.
Jeune Afrique révèle un aspect crucial de cette affaire : la surveillance d'Issa Tchiroma Bakary était davantage une façade qu'un dispositif opérationnel. Aucun ordre d'arrestation n'avait été émis contre lui, et la consigne de "garder à l'œil" l'opposant n'était assortie d'aucun protocole précis. Combien d'agents devaient être mobilisés ? Avec quelle intensité ? Personne ne le savait vraiment.
Cette ambiguïté dans les instructions a créé une situation paradoxale : officiellement surveillé, Issa Tchiroma Bakary jouissait en pratique d'une relative liberté de mouvement. Les agents sur place ne savaient pas exactement ce qu'ils devaient empêcher, ni jusqu'où ils pouvaient aller pour restreindre les déplacements d'un citoyen qui n'était sous le coup d'aucune procédure judiciaire.
L'enquête révélée par Jeune Afrique soulève de sérieuses interrogations sur l'origine de la dénonciation anonyme visant le capitaine Talla Foba. Plusieurs hypothèses circulent dans les milieux militaires camerounais. La première : il s'agirait d'un règlement de comptes interne, un collègue jaloux cherchant à nuire à la carrière de Foba. La deuxième : cette dénonciation serait une opération de diversion orchestrée pour détourner l'attention des véritables responsables.
L'absence totale de preuves matérielles après des semaines d'investigation tend à accréditer la thèse de la manipulation. Comment un officier aurait-il pu conduire un opposant notoire à travers la frontière sans laisser la moindre trace ? Aucun appel téléphonique suspect, aucune transaction financière, aucun témoignage d'habitants de la zone frontalière.
Au-delà de l'aspect technique, cette affaire révélée par Jeune Afrique a des implications politiques majeures. Elle démontre que le régime camerounais n'est plus en mesure de contrôler efficacement ses opposants les plus en vue. Pire encore, elle suggère que des fissures existent au sein même de l'appareil de sécurité.
Le remplacement du capitaine Talla Foba par Alain Grégoire Enyengue Mvondo, un homme du gouverneur, s'inscrit dans une logique de reprise en main. Mais cette nomination précipitée pose également question : pourquoi confier un poste aussi sensible à un proche du pouvoir civil plutôt qu'à un professionnel aguerri du renseignement ?
Deux mois après les faits, Jeune Afrique constate que l'enquête officielle n'a produit aucun résultat tangible. Le capitaine Talla Foba a été muté mais pas sanctionné. Aucun autre suspect n'a été identifié. Les circonstances exactes du départ d'Issa Tchiroma Bakary demeurent floues.
Cette incapacité à résoudre l'affaire traduit un malaise profond au sein des services de sécurité camerounais. Entre dénonciations anonymes, rivalités de corps et défaillances opérationnelles, l'appareil censé protéger le régime montre des signes préoccupants de dysfonctionnement. Pour Issa Tchiroma Bakary, désormais en sécurité au Nigeria, cette confusion ne peut qu'arranger ses plans.