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Actualités of Monday, 16 April 2018

Source: Le Sahel No 1061

Extrême-Nord: entre Boko Haram et sécessionnistes, les populations aux abois

Les popualtions vivent dans une précarité. Les popualtions vivent dans une précarité.

Tête baissée, Hapsatou Madi, a du mal à raconter son histoire. Quelques minutes après, elle essuie ses larmes à l’aide d’un petit mouchoir blanc. Un geste qui semble lui avoir donné le courage de parler. Commence alors le récit du pire drame de sa vie vécu à Amchidé, ville frontalière du Cameroun à l’orée de Banki. C’est ici que sa vie a basculé en juillet 2015. Un matin, aux environs de 4h, sa famille a été surprise par une attaque des combattants de Boko Haram.

Réveillés de leur sommeil par les crépitements des armes, la mère et ses dix enfants ainsi que son mari se retrouvent pris dans l’étau de la secte terroriste. «Quand ils sont arrivés, ils criaient Allah hou Akbar. Nous avons pensé que c’était l’appel du muezzin pour la prière de la matinée. C’est quand ils se sont introduits dans notre maison en cassant tout sur leur passage que nous nous sommes rendus compte de ce qu’il s’agissait de Boko Haram», raconte-t-elle.

Les djihadistes étaient là avec pour objectif d’amener avec eux les deux jeunes garçons de Hapsatou Madi, notamment Mohamed Halidou, 20 ans et Ousman Ali, 18 ans. «Les membres de Boko Haram qui sont venus nous attaquer étaient les enfants du quartier. Ils connaissaient bien mes enfants et voulaient qu’ils les rejoignent dans le mouvement terroriste», ajoute cette femme de 42 ans. Mohamed Halidou et Ousman Ali qui refusent d’être enrôlés dans la secte sont aussitôt cri- blés de balles sous les yeux de leur génitrice. «Comble de barbarie, malgré que mon fils Ousman Ali était déjà mort, ils l’ont égorgé», relate Hapsatou Madi.

Non sans dire que malgré le temps passé, cette horrible image est encore fraîche dans sa mémoire. Si elle et ses huit autres enfants ont eu la chance de prendre le large en empruntant le même chemin, son mari, est porté disparu à jamais. «Mes enfants et moi avons été chassés de la maison par Boko Haram. En se sauvant, mon mari a pris je ne sais quelle direction. Depuis ce jour, je ne l’ai plus revu et je n’ai jamais eu de ses nouvelles. Je ne sais pas s’il est encore vivant ou pas», explique celle qui avec ses huit enfants est partie d’Amchidé pour trou- ver refuge dans une autre localité où elle s’efforce dans la précarité et la détresse, à retrouver une vie normale.

SCÈNE DRAMATIQUE

C’est quasiment la même histoire que vit Fatima Abba. Abandonnée à elle-même, elle se bat au quotidien pour sa survie et celle de ses deux enfants. En septembre 2014 à Amchidé, elle vivait la scène la plus dramatique de sa vie. Couchée auprès de son mari et dans un paisible sommeil, elle est réveillée par le vacarme assourdissant des disciples de Boko Haram. Les anges de la mort tirent sur le couple et tuent le mari. La femme n’a eu la vie sauve que grâce à un subterfuge. En effet, après l’exécution de son mari, Fatima Abba s’écroule et se fait passer pour morte. «Notre maison était la première à avoir été visitée par Boko Haram, parce qu’elle était située proche de la route à côté du marché du village. Quand j’ai vu comment on a tué mon mari, j’étais convaincue que je n’allais pas échapper au même sort. Le subterfuge qui m’est venu à l’es- prit dans le désespoir m’a sauvé», se souvient-t-elle de ce miracle.

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Moins chanceux qu’elle, son enfant de 7 ans, est porté disparu depuis. Après le départ de Boko Haram de sa maison, la femme de 28 ans porte sur son dos ses deux autres enfants et prend une direction inconnue. Elle parcourt des dizaines de kilomètres à pied avant de terminer sa course dans une ville du département du Mayo-Sava. A l’arrivée dans cette localité d’espoir, affamée et épuisée par la longue marche, sa fillette de deux ans décède.

«C’est fut un coup très dur. Ma peine était grande. J’ai été terriblement affectée. Je croyais avoir atteint le but en arrivant dans une localité plus ou moins calme, mais ma souffrance a été vaine», regrette-t-elle. Pour cette victime de la barbarie de Boko Haram, ses années paisibles passées à Amchidé, marquées par des activités commerciales florissantes, ne sont qu’un lointain souvenir, rangé dans les oubliettes.

Dans sa nouvelle ville d’accueil, elle a trouvé refuge pendant quelques semaines sous la véranda d’un bon S a m a r i t a i n . Chassée de là, elle cherche une mai- son qu’elle loue à 4000f le mois. Elle s’est alors lancée dans la vente des cacahuètes espérant pouvoir y gagner de l’argent pour payer son loyer. Etrangère et victime de suspicion, son activité ne prospère guère. Conséquence, nourrir sa petite famille est devenu très difficile.

«Au début, parfois le PAM nous donnait des denrées alimentaires. Mais après quelques mois, on nous a effacés de la liste des bénéficiaires. Depuis lors, chaque jour, c’est par miracle que je parviens à trouver à manger à ma petite famille», lance Fatima Abba, les yeux remplis de sanglots.

L’histoire de Kaltoumi Modu Gana diffère des autres femmes, par le mode opératoire de la secte terroriste dans sa famille. Si dans certaines familles Boko Haram a agi par surprise, chez Kaltoumi Modu Gana, la nebuleuse a annoncé l’exécution de son plan diabolique. Le premier signal que Boko Haram lui a lancé était de lui réclamer ses filles. Passant de parole à l’acte, ils ont débarqué pour kidnapper deux filles préalablement ciblées. Moins diaboliques ce jour-là, ils sont repartis sans rien faire, mais ont promis de revenir. «Un soir, ils étaient venus chez moi et m’ont demandé de leur donner mes filles. Naturellement, j’ai refusé.

Alors que nous craignions d’être tués suite à ce refus, à notre grande surprise, ils sont repartis sans rien nous faire», explique Kaltoumi Modu Gana. Alors qu’elle s’apprêtait à quitter le village avec sa progéniture, elle reçoit la visite de Boko Haram dans leur maison. Bilan : deux enfants enlevés et deux autres portés disparus.

BARBARIE

Le malheur de cette femme de 44 ans est survenu quelques jours seulement après que Boko Haram a annoncé son retour. N’ayant pas pris au sérieux la menace, la famille de cette femme notamment ses enfants, ont payé le prix de la barbarie de la nébuleuse d’origine nigé- riane. «Le même jour de l’enlèvement de mes gosses, je suis partie de Limani avec le reste de mes enfants». Un départ dans la douleur et la consternation. L’équation à résoudre était de pouvoir arriver à Mindif, dans le département du Mayo-Kani où se trouve sa belle-famille afin d’y mettre à l’abri prioritaire- ment ses enfants. Dans son témoignage, Kaltoumi Modu Gana relate que si elle et ses enfants sont arrivés à destination sains et saufs, après le long voyage périlleux parsemé d’em- bûche, c’est grâce au miracle de Dieu.

Depuis bientôt quatre ans qu’ils sont partis de Limani, ils n’ont jamais eu un domicile fixe. Traumatisée, elle n’a pas encore retrouvé son équilibre psychologique lui permettant de se consacrer à reconstruire une nouvelle vie. Elle s’est essayée au petit commerce, mais très vite, elle a arrêté cette activité, car «je suis ne pas tranquille dans mon esprit. Parfois, j’ou- blie plateau de mes cacahuètes et quand je reviens, je constate que tout a été volé par les enfants du quartier», s’efforce-t- elle à déplorer. Visiblement, la fin des séquelles du traumatisme subi suite à l’enlèvement et à la disparition de ses enfants, n’est pas pour demain.