La confirmation de la présence d'Issa Tchiroma Bakary en Gambie suscite de vives réactions dans la sphère sociopolitique camerounaise. Le Père Ludovic Lado, jésuite connu pour ses prises de position tranchées, a réagi publiquement à l'annonce faite le 23 novembre par le Ministère de l'Information gambien. Pour le théologien et analyste politique, le choix de l'exil par le leader du Front national pour le salut national du Cameroun (FSNC) disqualifie sa capacité à incarner le changement.
Le Père Ludovic Lado a diffusé son opinion peu après que le gouvernement de Banjul a révélé qu'Issa Tchiroma était hébergé sur son territoire "pour des raisons purement humanitaires" depuis le 7 novembre 2025. Le religieux, dans une courte mais cinglante déclaration, a clairement exprimé son scepticisme quant à la stratégie de l'opposant autoproclamé président élu :
"JE VOUS AVAIS DIT… Tchiroma ne peut plus accompagner cette révolution… en se réfugiant dans un autre pays africain. On ne fait pas une révolution avec la petite bourgeoisie politique…"
Cette analyse place la crise post-électorale sous le prisme de la sociologie politique. Le Père Lado remet en cause la nature de la "révolution" revendiquée par Issa Tchiroma, arguant que son leadership ne peut être assuré par une "petite bourgeoisie politique" qui choisit la voie de la sécurité personnelle et de l'éloignement géographique plutôt que la confrontation directe avec le pouvoir en place.
La critique du jésuite soulève une question fondamentale : peut-on diriger un mouvement de contestation depuis l'étranger ? Pour le Père Lado, la réponse semble négative. Sa position s'inscrit dans une conception classique des mouvements révolutionnaires où la présence physique du leader sur le terrain est considérée comme indispensable à la mobilisation populaire et à la crédibilité du combat.
Cette vision contraste avec celle défendue par l'entourage de Tchiroma. Me Alice Nkom, porte-parole du leader contestataire, a justifié cet exil comme une nécessité sécuritaire permettant de poursuivre le combat politique. Dans un communiqué daté du 23 novembre 2025, le "Président élu" a d'ailleurs exprimé sa gratitude envers la Gambie et les autres pays veillant à sa sécurité, saluant leur attachement aux valeurs de "la paix, la démocratie, le respect des droits humains, la souveraineté et la solidarité entre les peuples africains."
Le juriste Constant François Nepinbong avait souligné le caractère hautement symbolique du choix de la Gambie. L'histoire récente de ce pays, où la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) a fait plier l'ancien dictateur Yahya Jammeh en 2017 pour imposer le verdict des urnes, confère à ce refuge une résonance puissante pour l'opposant camerounais.
Toutefois, la critique du Père Lado ramène brutalement le débat sur le terrain pragmatique : au-delà du symbolisme, quelle est l'efficacité réelle d'un leadership exercé depuis l'exil ? Le théologien rappelle implicitement une réalité historique : les grandes révolutions africaines, de Kwame Nkrumah à Thomas Sankara, se sont construites avec des leaders physiquement présents aux côtés de leurs partisans.
Une fracture au sein de l'opposition ?
Cette prise de position du Père Lado pourrait révéler une fracture au sein même des forces d'opposition et de la société civile camerounaise. Si certains voient dans l'exil de Tchiroma une stratégie de préservation permettant de poursuivre le combat à long terme, d'autres, comme le jésuite, y voient un renoncement qui affaiblit la dynamique contestataire.
La question posée par le religieux dépasse le cas individuel de Tchiroma : elle interroge la sociologie des élites politiques camerounaises et leur capacité à mener des transformations radicales. En qualifiant les acteurs actuels de "petite bourgeoisie politique", le Père Lado suggère que le véritable changement ne pourra venir que d'une mobilisation populaire s'affranchissant des calculs politiciens traditionnels.
La critique du Père Lado remet au centre des préoccupations une réalité fondamentale de la lutte pour le pouvoir : l'efficacité des mouvements de contestation se mesure souvent à la présence et à l'engagement physique de leurs leaders sur le terrain. Reste à savoir si Issa Tchiroma Bakary parviendra à maintenir sa légitimité et sa capacité de mobilisation depuis son exil gambien, ou si, comme le suggère le théologien, son départ scelle la fin de sa "révolution".
Dans le contexte camerounais, où les tensions post-électorales s'ajoutent à une crise anglophone qui dure depuis près de neuf ans, cette question du leadership et de sa légitimité revêt une importance capitale pour l'avenir du pays.









