Actualités of Wednesday, 10 December 2025
Source: www.camerounweb.com
Jean De Dieu Momo rend un vibrant hommage à Me Yondo Black et Anicet Ekanè, « deux fils Sawa » et « figures majeures de la démocratisation du Cameroun ». Dans un message poignant publié sur Meta, l’ancien compagnon de lutte d’Anicet Ekanè salue leur héritage politique et espère que leur mémoire « inspirera les générations à venir ». « Adieu camarades de combat politique », conclut-il, alors que Me Yondo Black sera inhumé ce samedi 13 décembre 2025, laissant derrière lui une page essentielle de l’histoire camerounaise.
Lire ci-dessous sa sortie en intégralité :
« Hommage à Me Yondo Black et Anicet Ekanè : Deux fils Sawa, figures majeures de la démocratisation au Cameroun.
L’année 2025 laissera une empreinte particulière dans l’histoire politique du Cameroun. Elle aura vu disparaître deux artisans majeurs de la lutte pour les libertés publiques : Me Yondo Black Mandengué, disparu à 87 ans, et Anicet Ekanè, décédé à 74 ans. Leur trajectoire, intimement liée depuis les années de braise, semble s’être prolongée au-delà de leur combat, jusque dans la mort. L’un, Yondo Black, sera inhumé ce samedi 13 décembre ; l’autre, Anicet Ekanè, repose encore à la morgue, son départ étant encore vif dans la mémoire collective. Deux destins, un même héritage politique.
L’histoire retiendra que la contestation politique contemporaine au Cameroun prend officiellement racine le 19 février 1990. Ce jour-là, Me Yondo Black, ancien bâtonnier et figure respectée du barreau, est arrêté à Douala en même temps que onze autres militants, dont Anicet Ekanè, Albert Mukong, Henriette Ekwé ( la seule femme du groupe), Francis Kwa Moutoné, Rudolphe Bwanga, Vincent Feko Amani, Mme Badjé, ou encore Charles René Djoudjoce. On les accuse alors de sédition, subversion et affront au chef de l’État.
En réalité, leur faute était d’avoir publié des tracts intitulés « L’HEURE EST GRAVE », au nom du Comité de coordination pour le multipartisme et la démocratie, dans un contexte où la Constitution garantissait pourtant la liberté d’association. La contradiction choqua une partie de l’opinion publique et révéla l’ampleur du malaise politique de l’époque.
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Le procès, tenu devant le tribunal militaire de Yaoundé, devint un moment charnière. Me Yondo Black fut condamné à trois ans de prison, Anicet Ekanè à cinq ans ( allez savoir pourquoi), et leurs compagnons à deux ans. Mais la portée politique de l’affaire dépassa les condamnations : près de deux cents avocats assistèrent au procès, en signe de solidarité, sous la conduite du Bâtonnier Bernard Muna, de Me Doualla Moutome qui deviendra par la suite ministre de la justice, de Me Charles Tchoungang, jeune et fringant avocat très réputé et qui créera une Association des droits de L’homme OCDH.
(J’étais un jeune postulant au stage d’avocat chez Maitre Alice Nzogang et j’avais réussi à me frayer un passage dans la salle d’audience bondée! J’ai eu la peur de ma vie après avoir seulement ri d’un éclat de Me Moutome à l’adresse des juges. Un agent secret en civil m’a regardé et a pris des notes dans un carnet. Ensuite il est sorti.
J’ai pensé qu’il allait chercher du renfort pour m’arrêter et je suis sorti prestement pour disparaître dans la nature! Visualisez ma fuite éperdue, le cœur battant à tout rompre! J’ai dormi cette nuit là à Ebolowa, à mille lieues de là, au cas où j’étais recherché cette nuit là à Yaoundé! Bref c’est pour vous donner une idée du climat politique de cette époque).
Et donc, les organisations internationales de défense des droits humains s’élevèrent contre la procédure. Ce fut, comme l’a relevé la recherche historique, une véritable apogée de la mobilisation civique et professionnelle.
En disparaissant la même année, Me Yondo Black et Anicet Ekanè entrent ensemble dans le panthéon de ceux qui ont écrit, au prix de leur liberté, une page essentielle de l’histoire camerounaise. Ils furent des voix, des consciences, des repères pour une génération aspirant à la justice, au pluralisme et au respect des droits fondamentaux. Fort heureusement le président Paul Biya était lui aussi disposé à ouvrir le Cameroun à la démocratie, d’où les lois dites de liberté du 19 décembre 1990.
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Aujourd’hui, alors que l’un s’apprête à recevoir les derniers honneurs sur sa route vers ses ancêtres et que l’autre vient à peine de nous quitter, il revient à la nation de se souvenir du courage de ces hommes. Leur combat n’était pas seulement politique : il était profondément humain, porté par la conviction qu’aucune société ne prospère sans liberté.
Mon désaccord avec Me Yondo Black, alors j’étais devenu ministre Délégué auprès du Ministre de la Justice, s’est situé au niveau où il voulait transformer le Barreau en contre-pouvoir politique, alors qu’il s’agit d’un ordre professionnel. Cela a toujours été l’un de ses combats, utiliser le Barreau comme un parti politique d’opposition. Nous nous sommes finalement accordés sur ce point lors de la réunion que nous eûmes avec les anciens Bâtonniers à Douala. Il m’a par la suite écrit disant que je l’avais mis en minorité sur la question. Je publie l’extrait de cette lettre qui caractérise Me Yondo Black ci-dessous.
Ah sacré Yondo Black!
Quant à mon camarade Anicet Ekanè, nous livrâmes ensemble de nombreux combats pour les libertés et la démocratie, combat que je continue, sans désemparer, à mener à mon poste de combat actuel, pour les libertés et la protection des droits de l’homme, au Ministère de la Justice.
Que leur mémoire inspire les générations à venir et que leurs âmes reposent en paix. Adieu camarades de combat politique.
Dr Momo Jean de Dieu
Fo’o Dzakeutonpoug 1er »