«Il lui est arrivé plusieurs fois de me révéler des propos tenus par le Président Ahidjo, ou ce que celui-ci aurait fait en telle circonstance, comme une sorte d’hommage à celui qui avait été son «patron». Un jour il me parle de la visite d’un Président français en Afrique. Il me révèle que le Président Ahidjo n’avait jamais accepté que le Cameroun soit inclus dans une tournée d’un Président français.
Il exigeait que le Cameroun soit traité comme un pays à part, qui n’a jamais fait partie des colonies de la France. Les Présidents français successifs avaient fini par s’y accommoder. Une autre fois, le Président Biya me raconte qu’alors qu’il était Secrétaire général de la Présidence, le Président Ahidjo, au cours d’une audience, lui apprend qu’il a reçu des informations indiquant que lui Biya stockait des armes en vue de perpétrer un coup d’État.
Le Président Ahidjo lui demande ce qu’il en est. Après ses explications, son Chef conclut l’entretien en l’assurant de nouveau de sa confiance ; il lui donne même les noms des auteurs de la note dénonciatrice, en ajoutant «je voulais que vous sachiez qui dans le gouvernement complote contre vous ! ». Ma réaction après ces révélations a été : «Et vous avez gardé ces personnes dans le gouvernement quand vous avez accédez au pouvoir ?» Le Président Biya m’a répondu : «C’est tout cela la politique. » À une autre occasion, le Président Biya m’indique que le Président Ahidjo avait pour règle de ne jamais créer une nouvelle structure publique ou parapublique sans avoir préalablement identifier la personne à laquelle il allait confier la responsabilité de cette nouvelle structure», page 239-240.
Les enfants Ahidjo (Daniel et Badjika)
«À deux reprises, dont je me souviens clairement, le Président Biya a parlé de deux enfants de la famille du Président Ahidjo. Une première fois, je lui ai rendu compte qu’un des enfants Ahidjo, Daniel, m’avait demandé une audience et je sollicitais la conduite à tenir. Il s’est empressé de me répondre «Recevez-le»; et avec une sorte d’attendrissement, il ajouta : «vous savez, Daniel, je l’ai connu quand il était encore tout petit quand je me rendais à la résidence présidentielle, sur la convocation du Président Ahidjo». Après avoir reçu Daniel, j’ai fait mon rapport au chef de l’État sur les problèmes et les souhaits de cette personnalité. Le Président m’a donné instruction de voir avec les administrations concernées pour que satisfaction soit donné aux demandes de Daniel. (…) Il s’agissait du fils aîné du Président Ahidjo, Mohamadou Ahidjo , plus souvent connu sous le nom de Badjika. Le chef de l’État m’avait instruit de recevoir cette personnalité qui, à l’époque était Président du Conseil Municipal de la ville de Garoua. Cette ville avait été conquise par le parti Undp auquel Mohamadou Ahidjo appartenait lors des élections municipales de 2002.
Le Président de la République nourrissait le projet d’offrir au fils Ahidjo, un strapontin au niveau de la Présidence de la République. Il m’avait ainsi chargé de sonder cette personnalité. Je reçus donc M. Mohamadou Ahidjo dans mon bureau, en mai 2003. Mon interlocuteur m’a globalement autorisé à informer le chef de l’État de son acceptation de la proposition et de l’en remercier. Il souhaitait, si je ne me trompe pas, qu’en attendant, il lui soit établi un nouveau passeport diplomatique. Je lui avais indiqué que je rendrai compte et que nous garderons le contact pour la suite.Quelques jours après cette audience, une rocambolesque histoire d’enlèvement d’enfants, par un certain Mackit a lieu dans une concession privée à Garoua. Les premiers éléments d’information mettent en cause Monsieur Mohamadou Ahidjo , dont se réclamait alors le sieur Mackit. Le mis en cause soutenait lui, devant les autorités et les enquêteurs, qu’il n’était pas impliqué dans cette affaire, qu’il avait donné son accord à sieur Mackit pour une cérémonie d’octroi de bourses à des élèves de la région de Garoua. Le Président de la République en fut rapidement informé. Il m’instruisit alors de suspendre les démarches envisagées pour M. Mohamadou Ahidjo , jusqu’à ce que toute la clarté soit apportée à cette histoire. Finalement ce n’est qu’en décembre 2011 que M. Mohamadou Ahidjo sera nommé Ambassadeur itinérant à la Présidence de la République», pages 240-241.
Amadou Vamoulke
«Lorsque le Président décide de remplacer le professeur Mendo Ze, devenu membre du gouvernement, la première orientation est de chercher à l’extérieur de la Crtv, quelqu’un qui n’ait pas été partie prenante des combats internes et qui ne puisse pas être identifié comme «l’homme de Mendo Ze» ou le «chef de file de l’opposition au Professeur Mendo Ze». Ensuite, la région d’origine avait été arrêtée, l’Extrême-Nord. Monsieur Vamoulke n’était pas à proprement parler un ami. J’éprouvais une estime pour le professionnel et pour l’homme, apparemment libre dans sa tête. Il était parmi les premières générations de l’Ecole de journalisme de Yaoundé ; il était par conséquent l’aîné de la plupart de ceux qui servaient alors à la Crtv. Au cours d’une audience accordée à l’un des professionnels de la Crtv, nous avons incidemment parlé des rumeurs de nominations du successeur du Professeur Mendo Ze ; incidemment, j’ai demandé à ce professionnel s’il connaissait M. Vamoulke. Il a répondu en me disant le grand respect qu’il avait pour le professionnel qu’était M. Vamoulke. Son nom a dès lors été avancé au cours d’une audience avec le Président de la République.
Le Président a sans doute pris le temps de consulter d’autres personnes, avant de me donner instructions, quelques jours plus tard, de consulter M. Vamoulke. L’homme que j’ai reçu, je dois le dire, n’était pas manifestement demandeur. Il n’avait laissé transparaître aucune émotion. Cependant, il était prêt à être utile si le Président pensait qu’il pouvait remplir la fonction. Quelques jours se sont encore écoulés ; puis un jour le chef de l’État m’a instruit de préparer le projet de décret de nomination de M. Vamoulke comme Directeur Général de la Crtv. Le décret signé, j’ai appelé l’intéressé au téléphone pour l’informer que son décret de nomination allait être publié d’un moment à l’autre. Nous nous sommes vus quelques jours après. J’ai essayé de l’aider les jours qui suivaient, avec des conseils pour le management de sa structure. J’ai cru comprendre que sa nomination avait globalement été appréciée par le personnel de la Crtv. Il arrivait avec un sang neuf et sans doute des idées nouvelles. Voilà ce que je peux vous dire pour cette nomination. (…) Je peux vous assurer que je n’éprouve aucune rancoeur vis-à-vis de M. Vamoulke. À posteriori, je pense que comptetenu de ses qualités, d’homme très cultivé, et de bon «parleur», il aurait fait meilleur Ministre des Arts et de la Culture ou même de la Communication, que Directeur général de la Crtv, en tout cas dans sa version initiale», pages 187- 188.
Amadou Ali
«Pour dire vrai, j’éprouve toujours une certaine sympathie pour cet aîné dans le service de l’État au sens grec du terme, (souffrir avec). Je ne suis pas encore convaincu que M. Ali Amadou soit un homme fondamentalement méchant. Je crois même que s’agissant de l’homme, il doit être bon de nature. Quant au ministre Amadou Ali, je ne me souviens pas avoir eu le moindre problème avec lui. Mais dans mes missions de SG/PR, le ministre Ali fut parmi ces quelques compatriotes qui mirent à rude épreuve ma culture républicaine. Épris de rumeurs, dans son quotidien, M. Ali voit les complots partout, et dénonce à tout-va des personnalités publiques sans jamais produire de preuves. Ceci dit, je ne peux pas vous cacher que je n’ai pas été assez surpris de lire les propos, me concernant, qui lui ont été prêtés par l’ancien Ambassadeur Marquart (USA), selon les révélations de Wikileaks», page 231.