Un communiqué radio-presse mobilise les autorités traditionnelles et religieuses pour ramener le calme
Face à l'escalade des violences post-électorales qui secouent Douala depuis l'annonce de la réélection de Paul Biya, le Préfet du Département du Wouri, Mvogo Sylvac Marle, a publié ce 30 octobre un communiqué radio-presse ordonnant l'arrêt de toutes les activités dans la capitale économique camerounaise pour la journée du vendredi 31 octobre 2025.Au même moment, Issa Tchiroma aussi appelle à des journées ville morte.
Dans ce communiqué officiel portant le numéro 69/2025/CRP/C19/SP, l'autorité préfectorale dénonce vigoureusement "les nombreux appels et autres tracts qui circulent dans les réseaux sociaux ou sont propagés par des sirènes du chaos". Ces messages, selon le Préfet, "font l'apologie du terrorisme, et s'emploient à créer et à entretenir la psychose, l'émoi et la consternation dans les esprits des populations".
Le ton du communiqué est ferme et révèle l'inquiétude des autorités face à une situation qu'elles jugent susceptible de dégénérer davantage. Le choix des mots - "terrorisme", "sirènes du chaos", "psychose" - témoigne de la gravité de la crise telle que perçue par l'administration territoriale.
Le Préfet rassure les populations de sa circonscription administrative en affirmant que "des dispositions absolument superlatives ont été prises, en liaison avec les forces de maintien de l'ordre et de sécurité". Cette mobilisation sécuritaire s'appuie également sur les populations elles-mêmes, "hautement mobilisées dans le cadre des comités de vigilance et d'autodéfense des différents quartiers".
L'autorité préfectorale mentionne également la mobilisation des "responsables syndicaux du secteur des transports par camions, cars, et motocycles" pour assurer "le bon ordre dans la cité, la sécurité de l'ensemble des personnes ainsi que celle de tous leurs biens".
Cette approche multi-acteurs révèle la volonté de l'administration de s'appuyer sur toutes les forces vives de la société pour contenir la crise, face à des violences qui ont déjà causé d'importants dégâts matériels dans la ville.
Paradoxalement, alors qu'il ordonne l'arrêt des activités pour le 31 octobre, le Préfet invite les populations "à sortir et à vaquer librement à leurs occupations, à ne céder sous aucun prétexte ni à la peur, ni à la psychose".
Cette injonction apparemment contradictoire traduit la complexité de la situation : d'un côté, les autorités veulent éviter un nouveau jour de violence massive le 31 octobre ; de l'autre, elles cherchent à donner l'image d'une ville sous contrôle où les citoyens peuvent circuler en toute sécurité.
Le communiqué félicite explicitement "l'onction apportée sous cette coupole de sécurisation tous azimuts du Département, par l'Association des Chefs Traditionnels du Littoral". Cette organisation, dans une adresse datée du 29 octobre 2025, aurait condamné "avec la plus grande fermeté tout acte de subversion, de vandalisme, de violence ou de division susceptible de troubler la quiétude des populations ou de porter atteinte aux biens publics et privés".
Les chefs traditionnels, figures d'autorité morale dans la société camerounaise, ont appelé "à la retenue, à la discipline civique et à la responsabilité patriotique". Cette mobilisation des autorités coutumières est un élément clé de la stratégie des pouvoirs publics pour ramener le calme.
Au-delà des chefs traditionnels, le Préfet souligne également le rôle joué par les autorités religieuses. Le communiqué évoque "l'ensemble des prières dites par les autorités religieuses, dans les églises, les mosquées, les temples et les chapelles, invoquant la paix et la miséricorde divine".
Cette dimension spirituelle de la gestion de crise témoigne de l'importance accordée par les autorités camerounaises aux leaders religieux comme vecteurs de pacification sociale. Dans un pays profondément croyant, ces prières collectives sont censées contribuer à apaiser les tensions et à encourager les populations à la retenue.
Le ton se durcit lorsque le Préfet met en garde "les instigateurs et propagateurs de ces appels malveillants à la violence et à la désobéissance civile". L'autorité préfectorale les invite à "mettre immédiatement un terme à ces pratiques pernicieuses et manifestement attentatoires au bon ordre, à la stabilité de nos institutions, à la sécurité des personnes et à celle de leurs biens".
Cette mise en garde fait écho à l'arrestation, annoncée par ailleurs, de Geneviève Timma Ella, alias "Reine des bois", interpellée le 29 octobre à Bafoussam pour incitation à l'insurrection sur les réseaux sociaux. Elle illustre la volonté des autorités de réprimer ce qu'elles considèrent comme de la désinformation et des appels à la violence.
Le communiqué se termine par un avertissement solennel aux "personnes tapies dans l'ombre, qui s'emploient au quotidien à compromettre la paix sociale dans son unité de commandement territorial". Le Préfet leur rappelle qu'elles "feront face, le moment venu, à toutes les rigueur et vigueur de la loi".
Cette formulation laisse entrevoir la possibilité d'opérations policières et judiciaires à venir contre ceux que les autorités considèrent comme les organisateurs des violences qui ont secoué Douala ces derniers jours.
Ce communiqué intervient dans un contexte de paralysie quasi-totale de Douala. Depuis l'annonce de la réélection de Paul Biya le lundi 27 octobre, la capitale économique, qui génère plus de la moitié des richesses du Cameroun, est le théâtre de violences qui ont entraîné le pillage de stations-service, d'agences bancaires, de boutiques et d'entrepôts.
Les transports interurbains sont à l'arrêt, les commerces fermés, et la crainte d'une pénurie de produits de première nécessité grandit. Le corridor commercial Douala-Ndjamena-Bangui, vital pour l'Afrique centrale, fonctionne au ralenti, menaçant l'approvisionnement de toute la sous-région.
Reste à savoir si ce communiqué et les mesures annoncées suffiront à ramener le calme à Douala. La journée du vendredi 31 octobre sera un test crucial pour l'autorité de l'État et la capacité des forces de sécurité à maintenir l'ordre dans une ville en proie à une contestation inédite depuis l'accession de Paul Biya au pouvoir en 1982.
La mobilisation conjointe des autorités administratives, militaires, traditionnelles et religieuses témoigne de la gravité de la situation. Mais elle révèle aussi, en creux, les limites du contrôle exercé par le pouvoir central sur une population qui, dans sa majorité à Douala, a voté pour l'opposant Issa Tchiroma Bakary lors de la présidentielle du 6 octobre.
La bataille pour le contrôle de Douala est devenue un enjeu majeur de la crise post-électorale camerounaise. De son issue dépend en grande partie la stabilité du pays tout entier.
 
            
        


 
 








