Actualités of Thursday, 30 October 2025

Source: www.camerounweb.com

Derniers jours à Etoudi : lâché par ses derniers fidèles, Paul Biya, un président seul au sommet d'un empire vacillant

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Les barons du régime absents lors de la proclamation des résultats : les révélations sur la fracture au sein du pouvoir

Derrière la victoire proclamée de Paul Biya se cache une réalité inquiétante pour le régime : le 27 octobre, lors de l'annonce officielle de sa réélection au palais des congrès de Yaoundé, les piliers historiques du pouvoir camerounais brillaient par leur absence. Une défection collective qui révèle l'isolement croissant du président de 92 ans et les fissures béantes au cœur du système Biya.


Selon les révélations exclusives de Jeune Afrique, plusieurs figures majeures du régime ne se sont pas déplacées pour assister à la proclamation de la victoire de Paul Biya par le Conseil constitutionnel. Parmi ces absences remarquées : Cavayé Yeguié Djibril, 85 ans, président de l'Assemblée nationale ; Marcel Niat Njifenji, 91 ans, président du Sénat ; et Laurent Esso, 83 ans, ministre d'État chargé de la Justice.

Jeune Afrique révèle que plusieurs de ces dignitaires se sont fait excuser, invoquant des problèmes de santé. Mais ces justifications médicales, bien que plausibles compte tenu de l'âge avancé de chacun, cachent une réalité plus complexe : un malaise profond au sein de la vieille garde face à la gestion de cette séquence électorale controversée.

L'absence de Laurent Esso est particulièrement significative. Jeune Afrique dévoile que cet ancien procureur, qui travaille dans l'ombre de Paul Biya depuis sa nomination comme conseiller spécial à la présidence le 4 février 1984, se relève d'une longue hospitalisation en Europe. Mais son absence ne serait pas uniquement médicale.


Selon les informations exclusives obtenues par Jeune Afrique, Laurent Esso n'avait déjà pas honoré l'invitation que lui avait adressée Ferdinand Ngoh Ngoh, secrétaire général de la présidence et son "ennemi intime", quelques semaines avant le scrutin. Le secrétaire général avait organisé une réception au palais d'Etoudi pour mobiliser les élites régionales en faveur de Paul Biya. Laurent Esso, considéré comme un poids lourd de la région du Littoral, a snobé l'événement.

Jeune Afrique révèle que "entre le ministre et Etoudi, le courant ne passe plus". Fragilisé par l'affaire Martinez Zogo, qui a vu en 2023 le placement en détention préventive de son protégé Jean-Pierre Amougou Belinga, le garde des Sceaux "n'apparaît quasiment plus en public". Un retrait qui en dit long sur les tensions internes au régime.

Le cas de René Sadi, 76 ans, ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, est tout aussi révélateur. Jeune Afrique rapporte que cet ancien secrétaire général du Comité central du RDPC et patron politique de la région du Centre "a mené campagne en dépit d'un échange tendu avec le secrétaire général de la présidence, début juillet".


Les révélations de Jeune Afrique indiquent que Sadi "a paru faire le minimum syndical, finalement peu à son aise dans le costume du communicant". S'il a fait une apparition le 27 octobre au palais des congrès, sa présence semblait davantage relever du devoir que de la conviction.

Jean Nkueté, le machiniste d'un train qui fonce dans le mur
Jean Nkueté, 81 ans, successeur de René Sadi à la tête du RDPC, incarne parfaitement la stratégie d'effacement de la vieille garde. Jeune Afrique dévoile des révélations accablantes sur son attitude passive face aux humiliations subies par le parti.

Selon Jeune Afrique, "lorsque Paul Biya se détourne du parti pour donner les clés de sa campagne à un comité restreint, Nkueté courbe l'échine. Lorsque les collaborateurs du chef de l'État privent le parti de budget de campagne, il n'en fait pas une affaire d'État." Le jugement est sévère : "Nkueté, disent ses détracteurs, c'est le machiniste d'un train à grande vitesse fonçant droit dans le mur et qui se contente de faire sonner son klaxon."


Jeune Afrique révèle néanmoins que le 27 octobre, bien que présent lors de l'annonce du Conseil constitutionnel, Nkueté "n'a pas caché à certains de ses proches son insatisfaction quant au déroulé de la séquence électorale". Un aveu de malaise qui confirme les tensions internes.

L'absence de Cavayé Yeguié Djibril, 85 ans et président de l'Assemblée nationale depuis des décennies (député depuis 1971), est également chargée de sens. Jeune Afrique révèle un incident embarrassant survenu lors de l'unique meeting de campagne de Paul Biya, le 7 octobre à Maroua.


Selon les informations exclusives de Jeune Afrique, Cavayé "a semblé perdre le fil du discours qu'il était en train de prononcer et a été prématurément interrompu par le protocole d'État". Un moment de confusion qui a alimenté les spéculations sur l'état de santé de ces "dinosaures" du régime.
Jeune Afrique rapporte toutefois une interprétation alternative de cet incident : "Certains élus ont voulu y voir une preuve de l'habileté de ce politicien, qui aurait ainsi cherché à éviter de déplaire à des populations déjà remontées contre le régime." Dans la région du Nord, personne n'a oublié que Paul Biya avait interdit en février 2024 le "Forum de haut niveau d'actions de lutte contre la famine dans les régions septentrionales" que Cavayé voulait organiser à Maroua.

Jeune Afrique note également l'absence du président de la Cour suprême, Daniel Mekobe Sone, et du chef d'état-major des armées, le général de corps d'armées René Claude Meka. Ces défections dans les institutions judiciaires et militaires sont particulièrement préoccupantes dans un contexte de contestation post-électorale violente.

Les révélations de Jeune Afrique pointent vers une transformation profonde de l'entourage présidentiel. "Le président camerounais s'est coupé de ces proches qu'il lui arrivait de consulter pour ajuster ses décisions. Il s'est aujourd'hui entouré de collaborateurs plus jeunes, fantassins zélés, parvenus à de hautes fonctions grâce à des alliances aléatoires, sans autre objectif que de l'aider à se maintenir au pouvoir."

Jeune Afrique dévoile que "au cabinet civil, au secrétariat général de la présidence, dans certains ministères régaliens à l'instar de l'Administration territoriale, il a positionné ces profils peu appréciés par la vieille garde". Une recomposition générationnelle qui explique en partie le malaise des barons historiques.


L'enquête de Jeune Afrique met en lumière les guerres intestines qui paralysent le sommet de l'État. L'antagonisme entre Laurent Esso et Ferdinand Ngoh Ngoh, qualifiés "d'ennemis intimes", illustre la fragmentation du pouvoir. Les tensions entre René Sadi et le secrétariat général de la présidence confirment que le régime est traversé par de multiples lignes de fracture.

Jeune Afrique pose la question centrale : "Faut-il en déduire qu'il y a bel et bien un malaise des 'dinosaures' ? Ou que le mal est plus profond, et qu'il s'enracine dans le lent déclin de la relation qu'entretient Paul Biya, depuis des décennies, avec ses collaborateurs de longue date ?"

Cette interrogation résume le paradoxe du régime Biya : un président réélu pour un huitième mandat mais de plus en plus isolé, entouré d'une jeune garde ambitieuse mais inexpérimentée, tandis que ses compagnons de route historiques se font discrets ou désertent les cérémonies officielles.

Ces révélations de Jeune Afrique sur l'effritement de la cohésion au sommet de l'État surviennent à un moment critique. Avec une légitimité contestée (53,66% seulement, contre plus de 70% habituellement), des violences post-électorales qui ont fait plusieurs morts, et une opposition déterminée à ne pas reconnaître les résultats, Paul Biya aurait besoin plus que jamais du soutien sans faille de ses barons historiques.

Or, les absences du 27 octobre et le silence gêné de ces figures tutélaires suggèrent que même au cœur du régime, la victoire proclamée de Paul Biya suscite des doutes. Un président seul face à une contestation grandissante : voilà peut-être le véritable enseignement de cette élection controversée.

Dans un pays en proie aux tensions, la solidité d'un régime se mesure aussi à la loyauté de ses piliers. Si même les "dinosaures" se font discrets, c'est peut-être que l'époque du système Biya touche à son crépuscule.