Actualités of Monday, 6 October 2025

Source: www.camerounweb.com

De la Libye à Paris : les traumatismes qui forgent la radicalité de l'opposition camerounaise

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Ils ne voulaient pas devenir des révolutionnaires. Certains rêvaient simplement d'une vie meilleure, d'autres fuyaient la misère. Mais c'est sur les routes périlleuses de l'immigration clandestine que ces Camerounais ont forgé une détermination à toute épreuve contre le régime de Yaoundé. Jeune Afrique révèle en exclusivité les témoignages poignants de ces activistes dont les parcours migratoires ont radicalisé l'engagement politique.


Abdoulaye Thiam n'est pas son vrai nom. Derrière le pseudonyme de Calibri Calibro se cache un homme marqué au fer rouge par son périple vers l'Europe. Dans des confidences exclusives recueillies par Jeune Afrique, l'activiste confie que sa radicalité politique trouve ses racines dans les sables du Sahara et les geôles libyennes.


« Ce qui m'a poussé dans ce combat, c'était la misère », affirme-t-il sans détour. Mais c'est surtout ce qu'il a vu en chemin qui a cristallisé sa colère. Jeune Afrique a pu retracer son parcours : à Agadir puis à Agadez, il a croisé des enfants de 12 ou 13 ans fuyant seuls leur pays. Ces images d'enfance sacrifiée l'ont profondément marqué.


Déjà engagé politiquement au Cameroun – où il avait subi arrestations et tortures avant de temporairement renoncer au militantisme –, c'est en Libye que Calibri Calibro bascule définitivement. Les violences subies dans ce pays, combinées à la mort de sa grande sœur en 2017, nourrissent une rage qu'il ne cherche plus à contenir. « Si j'étais arrivé en France par avion, je n'aurais sans doute jamais plongé dans cette radicalité », reconnaît-il.


Bertrand Sikadi, qui se fait appeler Berty le Kamit, a choisi une autre forme de combat : l'écriture. Jeune Afrique s'est procuré son ouvrage Folie et calvaire des migrants, un témoignage saisissant qui lève le voile sur les non-dits de l'immigration clandestine africaine.


Dans ce récit écrit avec une sobriété qui rend la lecture encore plus bouleversante, l'auteur décrit son périple à travers les frontières africaines, le désert saharien et la Méditerranée. Humiliations, violences, angoisses : rien n'est épargné au lecteur. Selon les révélations de Jeune Afrique, Sikadi est parti sans bagage, « sinon l'espérance », une formule qui résume la condition de milliers de jeunes Camerounais.


Sa question centrale traverse tout l'ouvrage : qu'est-ce qui pousse ces jeunes à tout abandonner ? Que deviennent-ils une fois parvenus dans l'« eldorado » rêvé ? Pour lui, la réponse est sans appel : la mal-gouvernance camerounaise. Et c'est désormais contre le président Paul Biya qu'il dirige toute son énergie militante.


Jeune Afrique a mené l'enquête sur l'ampleur du phénomène migratoire camerounais et son impact sur l'opposition en diaspora. Si les statistiques officielles restent floues, les témoignages recueillis dessinent une réalité glaçante : des milliers de jeunes Camerounais continuent de prendre la route du désert chaque année, fuyant un pays qu'ils jugent sans avenir.


Ce qui distingue cette génération d'opposants des précédentes, c'est précisément ce baptême du feu migratoire. Contrairement aux exilés politiques traditionnels qui rejoignaient l'Europe par des voies légales, ces nouveaux activistes ont traversé l'enfer. Cette expérience les rend imperméables aux compromis et aux négociations avec un régime qu'ils tiennent pour responsable de leur calvaire.

Une fois installés en Europe, ces migrants traumatisés ne cherchent pas l'oubli. Au contraire, ils transforment leur douleur en action politique. Calibri Calibro en est l'exemple le plus frappant. Comme le révèle Jeune Afrique, arrivé à Paris fin 2016, il organise dès lors sit-in, vidéos virales et actions coup de poing contre les symboles du régime de Paul Biya.

En 2018, il franchit un cap en fondant la Brigade anti-sardinards (BAS), un mouvement devenu célèbre pour perturber les déplacements du président camerounais en Europe et cibler les artistes jugés complaisants envers le pouvoir. Sa dernière initiative, le mouvement « Gen Z 237 », vise à mobiliser la jeunesse camerounaise pour exiger le départ de Paul Biya, en s'inspirant des soulèvements au Maroc et à Madagascar.


Dans une analyse exclusive, Jeune Afrique établit un lien direct entre l'intensité des traumatismes migratoires et le degré de radicalité politique de ces opposants. Plus le parcours a été violent, plus l'engagement devient intransigeant. Cette corrélation explique pourquoi certains activistes, comme Calibri Calibro ou Berty le Kamit, refusent catégoriquement tout dialogue avec le régime de Yaoundé.

Pour eux, il n'y a pas de demi-mesure possible. Leur corps porte les stigmates du voyage : cicatrices des coups reçus en Libye, séquelles psychologiques des traversées en mer, souvenirs indélébiles des compagnons de route morts en chemin. Comment négocier quand on a payé de sa chair le prix de la fuite ?

Installés principalement en France, ces activistes de la nouvelle génération ont compris le pouvoir des réseaux sociaux. Jeune Afrique a observé leur stratégie de communication : vidéos choc tournées lors de manifestations, live Facebook devant les hôtels parisiens où séjourne Paul Biya, campagnes de dénonciation des « sardinards » (terme méprisant désignant les soutiens du régime).
Berty le Kamit et Calibri Calibro tentent de fédérer les masses d'opposants en Europe, notamment via Facebook et YouTube. Leur discours, forgé dans l'adversité, résonne auprès d'une diaspora qui reconnaît dans leurs récits sa propre histoire. Les traumatismes deviennent ainsi des récits fondateurs d'une opposition radicalisée.

À quelques jours de l'élection présidentielle, ces voix de la diaspora traumatisée pèsent dans le débat politique camerounais. Jeune Afrique constate que leur influence dépasse largement les frontières de l'Europe : leurs vidéos sont massivement visionnées au Cameroun, leurs messages partagés, leurs slogans repris.

Le régime de Yaoundé ne s'y trompe pas : ces opposants forgés dans l'enfer migratoire représentent une menace bien plus sérieuse que les militants traditionnels. Ils n'ont plus rien à perdre, et c'est précisément ce qui fait leur force. Comme le confie Calibri Calibro : « Après ce que j'ai vécu en Libye, plus rien ne peut me faire peur. Surtout pas Paul Biya. »