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Actualités of Monday, 8 May 2017

Source: afrique.lepoint.fr

Déclaration d'amour d'Eugène Ébodé à Emmanuel Macron

Photo montage CameroonWeb 2017 Photo montage CameroonWeb 2017

L'écrivain français d'origine camerounaise se félicite de l'élection d'Emmanuel Macron et le met en garde contre les "dix plaies qui rongent la France".

Que cinq cent mille grâces vous soient rendues, M. le Président, pour avoir remporté avec 66,06 % de suffrages une élection présidentielle à nulle autre pareille. Elle a montré combien le pays était polyfracturé et combien les forces millénaristes et nihilistes, coalisées aux courants véhéments, antirépublicains et haineux, souhaitent qu'il s'enfonce dans le chaos, la tourbe et le nauséeux.

Que cinq cent mille grâces vous soient rendues, car vous avez su échapper à l'arène fangeuse où une candidate voulait vous entraîner. Vous lui avez opposé l'argumentation nette, la recherche de la conversation qui éclaire au détriment des arabesques et d'une inquiétante pantomime utilisée par la candidate extrémiste à ce niveau de la compétition politique.

Il en est ainsi des cancres à l'école, qui, devant une simple question qu'ils n'ont pas apprise, usent d'astuces pour se défausser et de l'esbroufe pour dérouter la classe. La scène fut pénible à voir durant le débat du deuxième tour, et insultante pour le peuple tant invoqué, mais ridiculisé. Aux âmes bien nées, dit la sagesse populaire, la valeur n'attend point le nombre des années. Que cinq cent mille grâces supplémentaires vous soient rendues pour avoir conforté le pays en vous adossant à la parole prédictive des Anciens.

De l'importance d'un projet bien énoncé

Aussi, la leçon donnée aux politiciens revanchards est celle-ci : tous ceux qui prétendront désormais au trône présidentiel ne devraient plus, aux tours sélectifs, confondre déversoir de vilenies et autres vomissures avec l'exposition de projets. Ils ne devraient pas, de même, abuser de la captation du mot peuple comme certains ont appris à capter des héritages.

L'usage de ce mot, parce qu'il renvoie à la part irréfragable de souveraineté que chaque électeur possède en propre, en requiert une respectueuse utilisation. Le peuple recouvre une dignité et une aspiration au meilleur qu'il ne faudrait pas galvauder en le fusionnant hâtivement avec la revanche sectaire et le remugle des ressentiments. Que cinq cent mille grâces vous soient rendues, M. le Président, d'avoir parlé franchement, d'avoir essuyé des quolibets en écartant le pugilat pour vous focaliser sur l'énoncé de votre projet.

En effet, cette campagne électorale de 2017 a exposé non seulement le rétrécissement des perspectives, mais d'abord le très médiocre niveau des prétendants à nos suffrages. M. Asselineau n'avait à la bouche que quelques articles du traité européen de Maastricht appris à la hâte et ânonnés pour barbouiller son inculture d'un vernis technocratique.

M. Philippe Poutou, pour avoir fait tomber le premier et déterminant masque parmi la multitude que portait la candidate de l'extrême rabougrissement du pays, a gagné le droit de revenir souvent nous rappeler ce propos de Jean de La Fontaine : « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. » L'auguste parole de notre précieux fabuliste, à la lumière de la robuste interprétation de M. Poutou, s'est transformée en version modernisée du célèbre dicton : « Selon que vous serez châtelaine ou banlieusarde, les convocations de la maréchaussée vous engageront à vous y rendre ou vous laisseront de marbre. » Il ne m'appartient nullement, M. le Président, de faire la liste exhaustive des rêveurs et des raveurs qui ont indûment occupé les estrades et répandu de la boue programmatique au lieu de répondre aux questions auxquelles chaque génération est confrontée, ainsi qu'en appelait le brillantissime Aimé Césaire, questions auxquelles la nôtre doit répondre.

Puisque vous avez joliment décidé de célébrer la victoire du peuple contre les démons de la discorde nationale et européenne au point de jonction symbolique du passé et du renouveau, soyez-en remercié. C'est en effet dans cette cour Napoléon que la prestigieuse histoire patrimoniale et politique côtoie la hardiesse de l'esprit de reconquête artistique et architecturale ; et puisque le symbole de cette place-là est la pyramide du Louvre réalisée par l'architecte américain d'origine chinoise Ieoh Ming Pei et voulue par le président François Mitterrand, voici, M. Le Président élu, les dix plaies, non de l'Égypte, mais celles qui menacent votre pouvoir naissant :

Attention à ces plaies menaçantes
Sur le plan intérieur :



1 – Le chômage de masse et la question de l'outil de production obsolète comme celui de la formation aujourd'hui déficiente. Il faudrait d'ailleurs que la nouvelle représentation nationale qui sera élue le 18 juin arrête un plan de formation ambitieux pour l'ensemble de la classe politique afin qu'elle réapprenne à penser et à s'inscrire dans le récit référentiel qui accorde de l'importance aux faits, et non aux élucubrations portées par une imagination moindre. « Gouverner, c'est prévoir », disait l'habile Émile de Girardin.

2 – La moralisation de la vie publique, vous l'avez dit, doit refixer un cadre coercitif afin que l'exemplarité soit chaque fois promue et la cupidité, proscrite sans états d'âme.

3 – La question du religieux doit être posée à travers la réaffirmation de la loi de 1905 et la séparation elle aussi très nette entre le spirituel et le temporel, et ratifiée par toutes les obédiences cultuelles avec solennité au Palais royal où siège le Conseil constitutionnel après le vote de la loi de réaffirmation de la laïcité et de concorde civique en France. Mais il conviendra au préalable de réitérer le principe de l'indivisibilité de la République et de la nation en mettant fin, à une échéance de trois à cinq ans, aux régimes d'exception. Ils prévalent dans notre pays pour des raisons historiques et en lien avec le concordat en Alsace-Moselle, et pour des clauses particulières dans les départements et territoires d'outre-mer.

4 – L'interdit du redoublement à l'école. Il est vu uniquement avec des lunettes comptables, et ce faisant, cette optique a démonétisé la notion d'efforts et de paramètres de soutien, nécessaires pour corriger les inégalités devant la distribution des savoirs fondamentaux. Les avis entendus tant chez M. Mélenchon que chez vous-même, M. le Président, devraient mettre les organisations syndicales dans l'éducation nationale en capacité de produire des solutions pour requalifier la formation professionnelle non point comme la « voie par défaut » face à la « voie royale » que seraient les études générales et technologiques dans le secondaire, mais comme la section indispensable vers l'entrée dans la vie professionnelle par une formation plus exigeante, car plus profilée vers une « employabilité rapide », comme diraient les experts. Il faudrait donc repenser le théorème chevènementiste de l'avancement mécanique et automatique d'une classe d'âge (80 %) vers le baccalauréat.

5 – Comment amorcer durablement le recul de la lepénisation des esprits qui ronge la société française ? En sortant de la paresse intellectuelle et verbeuse qui consiste à invectiver les invectiveurs et à tourner autour du pot. La mise au ban de nombre de Français issus de l'immigration fait en sorte que des enfants formés par l'école de la République ne trouvent pas de travail du fait de leur faciès ou d'une onomastique (les noms à consonance étrangère) intériorisée et reçue comme disqualifiante. Les CV anonymes sont une stupidité et ne règlent rien. Ils contribuent petitement à alimenter dans les banlieues la logique de fracturation du pays par la relégation honteuse d'une population formée mais balkanisée. Le Medef et les organisations syndicales devraient ici coopérer, sous l'égide du Conseil économique et social, pour une réelle politique d'inclusion sociale qui apaiserait bien des tourments identitaires et une ségrégation réelle qui rejette une partie de la jeunesse du pays, la repoussant dans les filets nocifs du fondamentalisme brun ou confessionnel.

6 – La ruralité perçue comme ridiculisée par le microcosme parisien. En réalité, c'est une nouvelle stratégie de l'État déconcentré et décentralisé qu'il faut conduire. Sur le plan des idées, la logique de la mondialisation poussée vers les extrêmes qui s'en réjouissent sans égard pour le local produit la peur de ce qui est lointain, puisque le local semble souffrir du mépris de ceux qui voyagent, boursicotent ou sont des fanatiques du tweet et du clic.

7 – Le discrédit de la presse et les pratiques attentatoires à la liberté d'informer ont été mis en œuvre au cours de la campagne électorale. Il s'agit d'une menace grave et concordante à la démocratie si les journalistes ne peuvent plus enquêter. Une grande conférence sur la nouvelle éthique conversationnelle devrait s'ouvrir sous l'égide du CSA et définir les aides et les sauvegardes que l'État doit au pluralisme médiatique sans lequel la démocratie serait dépouillée de son sens.

8 – La paupérisation gagne les artistes, les écrivains et les métiers du spectacle comme des médias. Or, le climat à la déflagration dans lequel le terrorisme nous a précipités risque progressivement de réduire l'offre culturelle. Ceux qui la font vivre en pâtiront davantage si rien n'est fait pour un nouveau contrat social avec les artistes et créateurs.

Sur le plan extérieur :

9 – La régénération de l'Europe est fondamentale sur le plan tant d'une cogestion de la souveraineté politique, monétaire, fiscale et de la défense communes, que sur celui des compétences nationales dont n'a pas à se mêler Bruxelles. La question est ici celle d'un fédéralisme tempéré contre les nationalismes renaissants et possiblement violents.

10 – La défense de l'environnement est à lier avec la question de la coopération dynamique et des transferts de technologies propres et durables. C'est un nouvel humanisme que recouvre ce champ. Il invite à remiser les questions de simple concurrence dans la production des biens marchands pour privilégier la globalisation du partage du génie humain. Défendre le patrimoine naturel et des énergies fossiles, c'est penser et panser les plaies ouvertes par les politiques à courte vue, pour transmettre un monde vivable aux générations futures. Penser la transmission des technologies propres, c'est raccourcir les distances du producteur au consommateur et opter pour la désinflation compétitive des empreintes et autres effets carbonés. C'est aussi permettre aux populations du monde de profiter des progrès, et non de nourrir pour ceux-ci un ressentiment porteur de la guerre des désespérés contre le bien-être supposé des nantis.

Il vous reste maintenant à réduire la montée des aigreurs et le choc des rancœurs par une politique publique ambitieuse et coordonnée. Il vous appartient de renouveler les visages et les usages, selon votre bon mot, pour qu'à la fin de votre mandat ne viennent quémander nos suffrages que ceux qui auront à cœur de proposer mieux et d'offrir des débats passionnants et sans fausses fiches. Ils ou elles pourront nous pousser à maintenir allumés les fenestrons (comme dirait le magistral écrivain Patrick Rambaud à propos de la télévision) lors de conversations franches et sérieuses sur le projet qui les anime, et non sur les éructations qui les laminent au-dedans comme au-dehors. Que cinq cent mille grâces vous soient rendues pour l'autorité avec laquelle vous avez commencé à pousser à la retraite et les fabricants de synthèses molles et les profiteurs de nos anciennes paresses à discerner les hypnotiseurs des médecins en campagne.

Alors, que votre premier gouvernement soit placé sous l'embonpoint rassurant d'un Premier des ministres, M. Xavier Bertrand, ou sous la solennité chatoyante d'un M. Bruno Le Maire, voire de tout autre candidat, que cinq cent mille grâces accompagnent votre ardeur commune à la tâche incommensurable et au rassemblement des progressistes qui vous attendent !

Vive le pays, hier blessé, mais aujourd'hui libéré et En marche !

* Eugène Ébodé est écrivain. Son dernier roman publié, Souveraine Magnifique (Gallimard, 2014), a obtenu le Grand Prix littéraire d'Afrique noire et le prix du roman historique Jeand'Heurs décerné par le département de la Meuse en 2015.