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Actualités of Thursday, 6 July 2023

Source: www.bbc.com

Crise de l'éducation au Nigeria : Pourquoi les prêts étudiants ne sont pas la solution

Pourquoi les prêts étudiants ne sont pas la solution Pourquoi les prêts étudiants ne sont pas la solution

Deux importantes réformes visent à améliorer la qualité dans les universités délabrées du Nigeria, mais seront-elles efficaces ?

L'effervescence règne dans la maison d'Esther Abu, où mère et filles viennent d'entendre parler d'une nouvelle loi qui permettra aux familles nigérianes pauvres d'obtenir des prêts pour envoyer leurs enfants à l'université.

La plus jeune des filles de Mme Abu, une adolescente qui parle comme si elle faisait du rap, quittera l'école secondaire le mois prochain.

Elle aime l'ingénierie informatique, mais elle sait que sa mère, célibataire dont le salaire de balayeuse de rue suffit à peine à nourrir la famille - et complété par des aumônes données principalement par son église -, n'a pas les moyens de l'envoyer à l'université.

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Son aînée a terminé ses études secondaires il y a deux ans et a immédiatement commencé à travailler comme coiffeuse pour subvenir aux besoins de la famille qui vit à Mararaba, une banlieue encombrée située à la périphérie d'Abuja.

"Quand j'étais petite, je rêvais de devenir médecin", confie Eunice, 21 ans.

Toutes deux ont désormais une chance, bien que mince, de réaliser leur rêve, car le gouvernement a annoncé qu'il accordera des prêts pour payer les frais de scolarité des personnes issues de milieux aussi défavorisés.

Toutefois, de nombreuses questions ont été soulevées au sujet de ce programme.

Depuis son arrivée au pouvoir fin mai, le président Bola Tinubu a mené une série de réformes à la vitesse de l'éclair - suppression des subventions aux carburants, dévaluation du naira, limogeage du directeur de la banque centrale et des chefs de la sécurité - et sa dernière initiative vise à réorganiser le secteur en difficulté de l'enseignement supérieur nigérian.

Pendant des décennies, le gouvernement a maintenu les frais de scolarité à un niveau peu élevé afin d'encourager les inscriptions dans un pays où beaucoup sont pauvres et où le taux d'analphabétisme est élevé.

Alors que les étudiants en médecine de l'université de Lagos, dans l'État le plus riche du Nigeria, ne paient que 25 000 nairas (32 £ ; 26 $) par an, leurs homologues de l'université du Ghana à Accra déboursent 3 500 cedis (242 £ ; 308 $).

Mais ces frais de scolarité peu élevés n'ont pas été compensés par un financement du gouvernement au fil du temps, ce qui a conduit à des écoles dotées d'équipements obsolètes, à des salles de classe surchargées et à une mauvaise rémunération des professeurs et autres membres du personnel.

Un professeur d'université nigérian gagne en moyenne moins de 500 000 nairas (570 £ ; 725 $) par mois, tandis qu'un assistant diplômé reçoit 160 000 nairas.

Ces conditions ont conduit à des grèves incessantes, qui ont entraîné la fermeture des universités pendant huit mois l'année dernière - le neuvième arrêt de travail en 13 ans.

Les grèves et le manque de financement adéquat ont érodé la confiance dans les universités publiques du Nigeria, poussant les étudiants à s'inscrire dans des établissements privés coûteux ou à étudier à l'étranger, notamment en Europe de l'Est.

En introduisant ces prêts, le président Tinubu a donné aux universités les coudées franches pour augmenter les frais de scolarité, que le gouvernement estime très élévés pour les étudiants issus de familles pauvres.

Ils peuvent désormais s'offrir l'enseignement universitaire.

Selon le président, ce programme "élargira l'accès à l'éducation à tous les Nigérians, quel que soit leur milieu d'origine".

Le prêt à taux zéro sera remboursé sous la forme de déductions mensuelles de 10 % des salaires des bénéficiaires, deux ans après qu'ils auront accompli un service paramilitaire obligatoire de troisième cycle.

"Mais que se passera-t-il s'ils terminent leurs études et ne trouvent pas de travail ?",

C'est une question que les étudiants et leurs parents se posent dans tout le Nigeria depuis que le programme a été annoncé il y a deux semaines.

Chaque année, le marché du travail nigérian accueille un nombre considérable de diplômés, mais seul un petit nombre d'entre eux trouve un emploi.

Lors de la dernière enquête, en 2020, un tiers de ceux qui voulaient travailler étaient au chômage, et des millions de diplômés occupaient des emplois inférieurs à leurs compétences, par exemple comme coiffeurs.

"Je connais au moins 200 diplômés dans mon village qui sont retournés à l'agriculture après avoir fait des études parce qu'il n'y avait pas d'emploi", déclare Ayuba Mayah, étudiant au College of Education de Zuba, à Abuja.

Il n'a pas l'intention de contracter un prêt, dit-il, pour éviter d'avoir à porter le fardeau de la recherche d'un emploi après l'obtention de son diplôme. Au lieu de cela, il travaille pour payer ses études.

Aminu Sadiya et Mercy Sunday, qui étudient tous deux l'économie dans la même université, s'accordent à dire que l'obtention d'un emploi est leur principale préoccupation en ce qui concerne le prêt.

"Mes parents n'ont pas pensé à un prêt avant de m'envoyer à l'école, ils trouveront un moyen de payer les frais de scolarité", affirme Mme Sunday, dont les parents sont agriculteurs.

Bien que M. Tinubu ait promis de réduire de moitié le taux de chômage en trois ans en créant des millions d'emplois pour les jeunes, la nouvelle loi reste muette sur les diplômés qui ne peuvent pas rembourser le prêt parce qu'ils sont au chômage.

En revanche, ceux qui se mettent à leur compte risquent une peine de prison de deux ans ou une amende s'ils refusent de rembourser le prêt à hauteur de 10 % de leurs bénéfices mensuels.

Mais le prêt n'est pas accessible à tous - il est spécifiquement destiné aux étudiants issus de foyers dont les revenus sont inférieurs à 500 000 nairas par an.

En théorie, des millions de personnes pourraient en bénéficier, mais les conditions d'obtention d'un prêt sont strictes.

Les familles pauvres devront prouver qu'elles gagnent aussi peu, ce qui signifie qu'elles devront fournir des relevés bancaires que beaucoup d'entre elles n'ont probablement pas.

Les demandeurs doivent également fournir au moins deux garants :

Il a été souligné que les Nigérians pauvres ont peu de chances de connaître de telles personnes et, s'ils les connaissent, ils ont peu de chances qu'elles se portent garantes d'un prêt.

Même s'ils remplissent les conditions requises, les demandeurs ne sont pas assurés d'obtenir un prêt, car celui-ci est subordonné à la disponibilité des fonds.

"Ils devraient simplement dire qu'ils ne veulent pas que quelqu'un accède au prêt", déclare Vanessa Macaulay, étudiante en troisième année de communication de masse au Yaba College of Technology de Lagos

.Le président du syndicat des professeurs d'université qualifie également les conditions de prêt d'"irréalisables", ajoutant que plus de 90 % des étudiants ne satisferont pas aux "exigences".

Mais d'autres universitaires, comme le professeur Mudashiru Mohammed, qui dirige le département de gestion de l'éducation à l'université d'État de Lagos, affirment que malgré des frais de scolarité de seulement 30 000 nairas (34 £, 43 $) par semestre, bon nombre de ses étudiants ne peuvent pas payer.

Il explique que ces conditions étaient nécessaires pour s'assurer que les gens payent, dans un pays où la plupart considèrent les prêts gouvernementaux comme de l'argent gratuit.

Bien qu'il soit difficile de mesurer le niveau financier des étudiants des établissements publics d'enseignement supérieur, de nombreux à l'université d'Abuja ont déclaré à la BBC qu'ils venaient de foyers à faibles revenus.

Leurs études sont financées par des parents et des tuteurs qui sont des fonctionnaires subalternes, des agents de sécurité privés ou des chauffeurs d'entreprise.

Les revenus cumulés de ces familles se situent souvent juste au-dessus du seuil, ce qui met le prêt hors de portée.

Ces familles ont déjà été touchées par le doublement des tarifs des transports et par l'augmentation récente du coût de la nourriture.

Maintenant, elles devront faire face aux frais de scolarité qui ont augmenté dans certaines universités - qui envisagent des augmentations depuis l'année dernière - jusqu'à 200 %.

Le prêt est strictement réservé aux frais de scolarité et exclut les autres frais tels que le logement et la nourriture, qui représentent généralement une part plus importante du coût total de l'université.

"S'ils ne paient pas tout, à quoi cela sert-il ? Qui achètera les livres, paiera l'hébergement, la nourriture ?" demande Mme Abu.

"Ils auraient dû mettre les prêts à la disposition de tous les étudiants", déclare Caleb Issac, étudiant à temps partiel à l'Université nationale ouverte d'Abuja.

Pendant son temps libre, il travaille comme commercial pour une entreprise de transport et craint que l'augmentation des frais de scolarité ne lui soit préjudiciable.

Ce n'est pas la première fois que le Nigeria tente d'accorder un prêt aux étudiants - un premier plan, mis en place en 1972 par le gouvernement militaire, s'est effondré parce que les bénéficiaires refusaient de rembourser, explique le professeur Mohammed.

"Le président aurait peut-être dû se concentrer sur la création d'emplois", estime Mme Abu.

Le manque d'emplois, les autres frais impliqués et le manque de clarté sur ce qui arrivera aux employés qui ne remboursent pas, font que le prêt ne convient pas à sa famille, dit-elle.

"Il vaut mieux que mes filles apprennent un métier et trouvent de petits emplois plutôt que d'aller à l'école et de risquer la prison", dit-elle.

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