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Actualités of Jeudi, 21 Septembre 2017

Source: lemonde.fr

Crise Anglophone: témoignage bouleversant d’un ex-détenu

Réfugié au Nigeria, le journaliste camerounais Mofor Ndong, détenu durant 203 jours pour avoir distribué des tracts, a accepté de parler au « Monde Afrique ». Mofor Ndong marche lentement, sans cesser de lancer des regards apeurés autour de lui. « Je ne suis pas en sécurité. Je sais que je suis surveillé », murmure-t-il. Devant la clinique Broad Green de Bamenda, pourtant, personne ne semble lui prête attention. « Vous ne les verrez pas, poursuit-il. Mais ce gouvernement nous traque. Il ne veut pas lâcher les anglophones. »

C’était quatre jours après sa sortie de prison. Mofor Ndong, 31 ans, journaliste et directeur du journal Voice of voiceless (« la voix des sans-voix »), récupérait les résultats de ses tests médicaux : VIH, tuberculose, hépatite… « La prison est un monde très mauvais où règnent toutes les maladies de la terre. Rien n’est contrôlé. J’y ai passé deux cent trois jours et je ne le souhaite à personne, même pas à mon pire ennemi si j’en ai un. Mais je continuerai à me battre pour mes frères et sœurs anglophones », lâche-t-il, avant de s’interrompre à l’approche d’un homme en blouse blanche.

Mofor fixe alors rendez-vous en lieu sûr. « Je vous dirai tout là-bas », promet-il. Le journaliste impose une seule condition : « Ne publiez votre article qu’une fois que je serai hors du Cameroun. Sinon, ma vie sera en danger. On est d’accord ? » Nous avons eu, depuis, confirmation qu’il s’était réfugié au Nigeria voisin.

Mercredi 30 août, Paul Biya, le président camerounais, signait un décret ordonnant l’arrêt des poursuites contre trois leaders anglophones emprisonnés, Nkongho Agbor Félix, Fontem Aforteka’a Neba, responsables du consortium Cameroon Anglophone Civil Society Consortium (Cacsc), contre l’ancien avocat général près de la Cour suprême, Paul Ayah Abine, et d’autres personnes arrêtées au cours de la crise qui secoue le Nord-Ouest et le Sud-Ouest, les deux régions anglophones du Cameroun. Le lendemain soir, peu après 23 heures, plus de 50 prisonniers étaient libérés.

« Je dormais à même le sol, sur du ciment »

Cette nuit-là, avant d’embarquer dans les bus pour Buéa et Bamenda, où ils avaient été interpellés huit mois plus tôt, les prisonniers libérés ont été réunis dans un camp militaire à Yaoundé, la capitale, par le général de brigade Elokobi Daniel Njock, directeur central de la coordination à la gendarmerie nationale. Il leur avait enjoint d’adopter « une bonne conduite » pour ne plus retourner en prison et de promouvoir « la paix, si chère à notre pays ». Depuis, tous ont peur de parler.

« Une menace pure et simple », fulmine Mofor Ndong dans son « lieu sûr ». Sachet de médicaments à la main, il est moins tendu. Les tests sont négatifs. Sa langue se délie.

« J’ai juste une angine, car les premiers jours de mon arrestation, je dormais à même le sol, sur du ciment. J’ai été arrêté le 9 février 2017 à Buéa. Comme la centaine d’autres prisonniers, j’ai été accusé de “terrorisme”. Nous étions jugés au tribunal militaire de Yaoundé, jusqu’au décret du président de la République. C’est regrettable que les autres prisonniers n’aient pas été relâchés. J’espère qu’ils le seront bientôt. »

Son téléphone portable ne cesse de sonner. La famille, les amis, les collègues s’impatientent. Le journaliste, crâne rasé, le met en mode silencieux. En octobre 2016, lorsque les avocats anglophones descendent dans les rues pour dénoncer l’affectation des magistrats francophones ne maîtrisant pas l’anglais dans leurs régions et exiger l’application de la Common Law, système judiciaire hérité de la colonisation britannique au début du XXe siècle, Mofor Ndong est « horrifié » par la manière donc les forces de l’ordre répriment « comme des voleurs, avec des coups de matraque » les manifestants « innocents ».

« J’ai créé Voice of voiceless en avril 2016 pour donner une voix aux anglophones qui n’ont jamais été entendus. Le peuple anglophone a toujours été méprisé dans ce pays. On les considère comme des animaux. Regardez comment des avocats, des hommes grands et dignes, ont été traités. Après eux, les enseignants et les parents d’élèves ont fait entendre leurs voix à Bamenda. Ils en avaient marre de voir le gouvernement affecter des profs francophones pour apprendre l’anglais aux enfants anglophones. Vous pensez que c’était normal ? C’est l’avenir de nos enfants qui est foutu », tranche Mofor Ndong.