A la suite de l’exaspération des transporteurs qui ont été depuis le début de la saison pluvieuse, immobilisés pendant des jours pour cause d’impraticabilité de la route sur le tronçon reliant la ville de Babadjou dans le départ e m e n t des Bamboutos, région de l’Ouest à celle de Santa dans le département de la Mémé, région du Nord- Ouest.
L’attention de l’opinion publique nationale et internationale a été portée sur l’état de vétusté de cette route. Mais surtout sur la menace de voir l’une des deux régions anglophones du Cameroun coupée du reste du pays. Une région du Nord-Ouest, frontalière avec le sud du Nigéria, et qui sert comme l’une des importantes passerelles dans les échanges économiques certes informels entre les deux pays.
Tout comme au travers des régions de l’Extrême-Nord, du Nord, du Sud-Ouest et, dans une moindre mesure, de l’Adamaoua. Des échanges qui se font essentiellement par voies terrestres. Et dans une moindre mesure par voies maritimes au travers de la région du Sud-Ouest. Ce qui justifie l’ire des transporteurs et des commerçants qui se sentent pénalisés par cette situation qui engendre des surcoûts sur le prix de revient des marchandises.
Ce mécontentement sur fond de dénonciation de l’abandon d’une région, qui plus est, anglophone, à croupir dans le désenclavement et dans une sorte de sécession naturelle, donne raison aux radicaux du mouvement sécessionniste, Scnc, aujourd’hui transformé en partie politique avec à sa tête, un magistrat de rang hors hiérarchie en service à la Cour suprême, a contraint les autorités administratives, qui brillaient par une attitude de Ponce Pilate à sortir du bois. Prenant comme première mesure l’interdiction à la circulation sur cet axe Mbouda – Bamenda des camions et gros porteurs. Seuls sont exemptés, les véhicules à usage personnel et les cars de transports en commun qui y circulent au sacrifice de leurs essieux et amortisseurs.
La circulation y étant un parcours de combattant, principalement sur l’axe Babadjou- Santa. L’asphalte sur cet axe routier de plusieurs dizaines de kilomètres a été non seulement entièrement dégarnie, mais encore ce qui n’était que des nids de poule sont devenus des lacs béants. En saison sèche, ce trajet était déjà très laborieux pour les automobilistes. Ils réussissaient malgré le parcours du combattant, à braver ce qui n’était que le lac de poussière. Depuis le début des pluies de cette année 2015 et au fur et à mesure que l’on rentre de plain-pied dans la grande saison pluvieuse du mois d’août, cet axe routier est rendu quasiment impraticable au grand dam des usagers. Certains n’ont pas caché leur ire en estimant que le régime de Yaoundé faisait preuve d’un abandon de la région du Nord-Ouest dans un enclavement alarmant. En dépit de la position de ses élites dans les hautes sphères de l’État. Du trompe-l’œil. C’est pour joindre sa voix à celle des transporteurs que le Chairman du Sdf, principal parti politique de l’opposition, Ni John Fru Ndi, dont la région du Nord-Ouest sert de bastion, est descendu sur le terrain pour s’enquérir de la situation.
Une situation qu’il connait bien puisque c’est l’unique axe qu’il emprunte pour sortir de son fief de Bamenda. Quel n’a pas été son étonnement de constater que, malgré la longue file de stationnements des camionneurs, et au regard de l’épreuve que les automobilistes affrontent au prix de l’état de leur véhicule, qui sont partis pour être réduits en épave, le poste de péage qui est situé à la lisière de la région de l’Ouest et celle du Nord-Ouest, continuait à fonctionner sans discontinuer, 24h sur 24h.
Un peu comme pour narguer ces usagers qui sont bloqués à cet endroit du tronçon Babadjou – Santa où, ce qui tient lieu de route, est impraticable. Non seulement, il faut sacrifier son châssis, patauger dans ce lac de poussière en saison sèche qui s’est transformé en lac de boue, ce qui explique que tous les véhicules s’embourbent et obligent les usagers et riverains à un élan de solidarité pour œuvrer au petit bonheur de la chance pour les en sortir.
Même les véhicules vantés pour leur système de traction et la puissance de leur moteur, n’y voient que du feu. Au regard de ce décor ahurissant et révoltant, John Fru Ndi a appelé les automobilistes au boycott du péage. Les autorités administratives qui y ont entrevu les brises ardentes d’un éventuel embrasement, ont immédiatement décidé l’arrêt provisoire de la vente de ticket à ce péage. Un contraste, lorsqu’on sait que les recettes générées étaient supposées contribuer à l’entretien et à la protection du patrimoine routier. Fins pour lesquelles, il a été créé toute une Direction au Ministère des Travaux publics. Direction, chargée de veiller à la gestion des péages et pesages routiers au Cameroun.
Curieusement, c’est devant ces stations de pesage et postes de péage que la chaussée est la plus dégradée. Pis encore, c’est sur la majorité des axes qui ont des postes de péage que les routes sont les plus dégradées. Ce qui remet pour une énième fois, d’une part, la question du choix des projets arrêté dans les Bip (Budgets d’investissements publics) de chaque année et d’autre part la faible exécution de ses projets du Bip, dont les évaluations indiquent que le taux d’exécution atteint à peine 40%.
Pour le cas de l’axe Mbouda – Santa, il y a urgence que les pouvoirs publics, même de manière exceptionnelle, débloquent un fonds spécial pour engager d’urgence les travaux de réfection de cette route de la nationale n°5 Bafoussam – Bamenda. Parce que son importance économique n’est plus à démontrer. Servant sur le plan économique, elle représente un pan important sur les échanges formels et informels entre le Cameroun et le Nigéria.
Les dernières statistiques au niveau des échanges formels, portant sur l’exercice 2013, situent le Nigeria au 2ème rang des fournisseurs du Cameroun avec 13,8% de nos importations, pour un volume de 1 039 064 tonnes et une valeur de 452 018 000 000 FCFA), juste après la Chine (14,2%) et avant la France (12,2%), l’Inde (5%) et les États-Unis d’Amérique (3,9%).
Il porte essentiellement sur des pièces détachées, des matériaux de construction, des produits cosmétiques, des engrais, des oranges, des appareils électroménagers, des seaux en plastiques et des tissus-pagnes, mais aussi et surtout des produits pétroliers, pour les besoins de la Sonara, ainsi que des carburants et lubrifiants.
A l’inverse, comme client du Cameroun, en 2013, le Nigeria se classe au 14ème rang avec en valeur relative 1,8% de nos exportations, pour un volume de 65 388 tonnes et une valeur de 39 531 000 000 FCFA. Les exportations du Cameroun vers le Nigeria sont constituées essentiellement des produits alimentaires, du bétail, des huiles végétales et du savon. Mais il est à préciser que le gros des échanges entre le Cameroun et le Nigeria se fait à l’informel.
Ceci, pour des raisons de proximité géographique, historique et culturelle. C’est pourquoi, il est lancé depuis juin 2010 les travaux de construction de la route Mamfé (Cameroun) Enugu (Nigeria) et du corridor Bamenda-Enugu (Nigeria). En attendant l’achèvement des travaux, le projet cristallise de grands espoirs quant à la nouvelle dynamique des relations commerciales entre le Nigeria et le Cameroun.
Ce projet impressionnant prend corps de Bamenda, le Chef-lieu de la région du Nord-Ouest au Cameroun à travers l’axe Batibo- Widikum- Mamfe- Ekok pour regagner les villes d’Ikom- Ogoja, Abakaliki et Enugu au Nigeria. Il représente 196 km. Il ne fait l’ombre d’aucun doute que conçu pour renforcer les relations entre le Cameroun et le Nigeria à travers la facilitation de la libre circulation des personnes, des biens et des services le long de la frontière commune, le corridor routier Bamenda-Enugu est perçu actuellement comme un instrument essentiel d’harmonisation et d’intégration des deux pays frontaliers.
«Au-delà de l’axe routier, le corridor Bamenda- Enugu représente la convivialité et la force des relations entre le Cameroun et le Nigeria. Il permet aux deux pays d’amoindrir le déficit en infrastructures en facilitant la croissance des échanges. Cet axe de transport multinational est un booster économique des populations frontalières», souligne un rapport économique de la présidence de la République du Cameroun.
C’est ce qui explique que les institutions financières internationales encouragent les deux pays à y lancer des initiatives et des projets visant à valoriser et à maximiser la rentabilité du corridor tout en encourageant la fraternité le long de l’axe routier. Dans la même perspective, les deux pays sont en cours de négociation sur le Mémorandum d’Entente et les Termes de références (TDR’s) pour la construction d’un pont sur le fleuve Mayo-Tiel dans la région du Nord frontalière de l’État fédéré de l’Adamawa.
Les partenaires financiers que sont la BAD et la JICCA pour la réalisation de ces infrastructures de grande envergure et même les Nations Unies incitent les autorités nigérianes et camerounaises à promouvoir des micro-projets sociaux-économiques au bénéfice des populations de ces régions frontalières.
Tous sont unanimes, sur le fait que la fin des travaux de ce généreux corridor va considérablement contribuer à la réduction de la pauvreté à la fois pour le Cameroun et le Nigeria. Mais, cet espoir peut être réduit à néant si les axes de relais ou de transit comme celui reliant Bamenda à Bafoussam sont dans un état aussi défectueux au point d’être quasiment impraticables.