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Actualités of Vendredi, 12 Mai 2017

Source: Mutations

Ces prisonniers que la France défend au Cameroun

Michel Thiery Atangana Michel Thiery Atangana

Comment Paris fait pression sur Yaoundé pour obtenir la libération des détenus accusés de détournements de fonds publics ou de complicité d’actes de terrorisme ; Le regard de Cabral Libii, un analyste politique sur ce sujet de crispation diplomatique.

Ahmed Abba

Ahmed Abba est présenté au public comme le correspondant de Radio France international (Rfi), en langue haoussa. Fin 2015, il est arrêté à Maroua, région de l’Extrême-Nord. Les services de sécurité lui reprochent alors des liens douteux avec les islamistes de la secte terroriste Boko Haram, contre qui l’armée camerounaise lutte depuis plus d’un an. Il est traduit devant la justice militaire. Les faits qui lui sont reprochés relèvent de la loi anti-terroriste. Après des mois de procès, au cours desquels le journaliste n’a eu de cesse de clamer son innocence, Ahmed Abba est finalement condamné, le 24 avril dernier, à 10 ans de prison ferme.

Hurlements du côté de Rfi et du Quai d’Orsay où dans un communiqué, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères a déclaré que « la France a appris avec préoccupation la condamnation » d’Ahmed Abba. « La France réitère son attachement au respect des libertés fondamentales, dont la liberté de la presse, raison pour laquelle nous sommes pleinement engagés en faveur de leur protection partout dans le monde », a-t-il- souligné.

Lydienne Yen Eyoum

Lydienne Yen Eyoum est arrêtée le 07 janvier 2010 sous une présomption de détournement des deniers publics avec Polycarpe Abah Abah, alors ministre de l’Economie et des Finances à l’époque des faits. Elle est accusée d’avoir gardé par devers elle, plus de 2 milliards de F.cfa appartenant au Trésor public, dans un litige où elle agissait au nom et pour le compte de l’Etat du Cameroun. Condamnée en septembre 2014 à 25 ans de prison ferme, cette peine sera confirmée en appel par la Cour suprême en juin 2015. La diplomatie va alors prendre le relais.

En juillet 2015, le président français, François Hollande, en visite au Cameroun, fait part de sa préoccupation sur le cas Eyoum. Jean Yves Leconte, sénateur des Français établis hors de France, confirmera l’implication de la France dans cette affaire, au cours d’une visite à Yaoundé en septembre. Et le 04 juillet 2016, Lydienne Yen Eyoum est libérée à la faveur d’une grâce présidentielle.

Michel Thierry Atangana

Il est un jeune ingénieur financier, âgé de 33 ans lorsque le 12 mai 1997, il est arrêté en même temps que Titus Edzoa, ancien secrétaire général de la présidence de la République qui vient de démissionner afin de pouvoir défier Paul Biya à l’élection présidentielle. Condamné à 17 ans de prison, la France ne va véritablement commencer à s’intéresser à son cas qu’en 2012, lorsqu’au terme de sa peine, le tribunal de grande instance le condamne à nouveau à 20 ans de prison ferme pour les mêmes faits. Dès lors, le Quai d’Orsay s’ébroue.

François Zimeray, l’ambassadeur français pour les droits de l’Homme, va rendre visite au prisonnier. Bruno Gain, ambassadeur de France au Cameroun lui emboîte le pas et fait part du mécontentement de l’Hexagone. Le ministère français des Affaires étrangères ne lésine pas sur ses relais (diplomatie parallèle, groupes de pression, médias, etc.) pour accentuer la pression sur Yaoundé. C’est par un décret de remise de peine aux multiples virgules, que le président Paul Biya lui accorde une remise de peine, synonyme de remise en liberté, le 18 février 2014.

Un coup à la souveraineté du Cameroun: L’analyste politique s’exprime sur la brouille franco-camerounaise autour de certains prisonniers.

Que pensez-vous des pressions extérieures, notamment françaises, en vue de la libération de prisonniers au Cameroun ?

Il faudrait d’abord que les pressions aient été réelles. Si tel est le cas, un pays qui courbe l’échine devant un autre, affaiblit indiscutablement sa souveraineté. Mais au-delà de tout, d’autres questions sur lesquelles on s’exprime peu, gouvernent généralement ce type de situations. Des contreparties d’un autre genre sont souvent faites. Il peut s’agir pour un Chef d’Etat d’assurer ses arrières, tout comme il peut s’agir de concessions commerciales. Le citoyen ordinaire est toujours le dindon de la farce. Mais sur le principe, les juristes vous diront que les limitations à la souveraineté, ne se présument pas !

Quel commentaire vous inspire l'affaire Ahmed Abba?

La condamnation d’Ahmed Abba pour blanchiment des produits des actes de terrorisme (article 4 de la loi N° 2014/028 du 23 décembre 2014 portant répression des actes de terrorisme), suscite une grande interrogation qui est celle de la protection des sources d’information du journaliste. Je considère que le correspondant de Rfi est une victime collatérale de la loi si controversée citée en sus. La qualification d’une infraction participe de trois éléments dont deux sont fondamentaux. L’élément matériel et l’élément intentionnel. Il me semble que ces deux éléments n’aient pas été de façon irréfutable, au fondement de cette condamnation.

D’ailleurs la clémence du juge (10 ans seulement où la peine de mort est requise), en dit long... Visiblement, l’accusation ayant fait des déclarations médiatiques retentissantes, quant à la solidité des éléments d’accusation, devait en fin de compte sauver la face alors même que l’irréfutabilité de la culpabilité du prévenu, demeurait, au regard des prétentions de la défense, fortement discutables.

Pensez-vous, comme certains qu'il s'agisse de prisonniers symboliques ?

Ça se pourrait en effet. Car ce qui était aussi en jeu, c’était l’autorité de la puissance publique face au fléau du terrorisme et à la pression d’une ancienne puissance tutélaire. L’Etat, nonobstant la relative légèreté des accusations, a cru bon d’affirmer sa fermeté, afin d’envoyer un signal. La vraie question est le destinataire réel de ce signal. A ce propos, il faut se souvenir qu’il y a quelques mois, de fortes rumeurs dans la presse, répandaient une prétendue collusion entre Boko Haram et des puissances étrangères dont la France jugée peu enthousiaste dans l’assistance accordée au Cameroun. L’ex ambassadrice de France s’était dans la foulée, faite huée lors d’une manifestation publique de soutien aux armées. Cette séquence n’est peut-être pas restée sans conséquences sur le comportement des pouvoirs publics...

N'est-ce pas finalement la confirmation de l’instrumentalisation de la justice ?

Cette hypothèse n’est pas à écarter tout de go. Ce d’autant que cette instrumentalisation a souvent été évoquée à tort ou à raison, dans l’opération Epervier. Si cette pratique de règlements de comptes venait à être avérée, il serait alors regrettable de l’étendre sur une question aussi grave que la lutte contre le terrorisme. Sauf qu’il demeure que de « grands prisonniers », franco-camerounais ont par le passé, bénéficié d’ « étranges » grâces présidentielles. Donc tout est à relativiser.