Actualités of Monday, 22 December 2025

Source: L'Indépendant n°989

Cathy Meba et Gervais Ndo : que se passe-t-il vraiment ?

Situation de confusion Situation de confusion

Le fait aura été marquant pour ne pas passer inaperçu. À Ebolowa, l’élection du président du Conseil régional du Sud a tourné au désaveu cinglant du Comité central du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC).

Alors que le parti au pouvoir misait sur Bikoro Alo’o Antoine, les conseillers régionaux ont massivement plébiscité Éric Gervais Ndo, candidat pourtant non adoubé par la hiérarchie. Un acte de défiance qui révèle les profondes fissures entre la base militante et le sommet du pouvoir. Cela pose le problème de l’adoption de la loi N° 2019/024 du 24 décembre 2019 portant Code général des collectivités territoriales décentralisées.

Un tournant historique, presque cathartique, dans l’édification institutionnelle du Cameroun. Elle est pourtant porteuse d’une promesse solennelle, celle de territorialiser le pouvoir, rapprocher la décision publique des citoyens et pacifier durablement l’espace politique local par la vertu organisatrice du droit. Mais l’épreuve du réel, toujours plus lucide que l’intention normative, a rapidement dissipé cette illusion.

Loin de produire l’harmonie attendue, la loi de 2019 a mis au jour les fractures d’un État suspendu entre une normativité abstraite, des réalités partisanes hégémoniques et des pulsions politiques individuelles que le droit, mal arrimé à sa propre sociologie, ne parvient plus à discipliner. La décentralisation, conçue comme remède institutionnel, s’est muée en révélateur d’une crise plus profonde de cohérence normative.

Les articles 307, 308 et 309 organisent avec minutie l’architecture interne des Conseils régionaux. L’élection du président et du Bureau par les pairs, le scrutin secret à majorité graduée, la durée du mandat calquée sur celle du Conseil, les mécanismes de recours et constatation par l’autorité ministérielle. Pris dans leur cohérence interne, ces dispositifs relèvent d’une orthodoxie classique du droit public décentralisé, presque académique dans sa pureté formelle. Mais cette construction repose sur un postulat silencieux et décisif, celui d’un Conseil régional conçu comme un espace institutionnel neutre, affranchi des déterminations des partis, gouverné par la seule rationalité procédurale.

Or, ce postulat semble être une fiction, selon des analystes. L’autonomie ainsi proclamée est homéopathique, infinitésimale dans sa portée réelle, mais potentiellement explosive dans ses effets politiques. En prétendant soustraire l’institution régionale au fait partisan, le législateur n’a pas neutralisé le conflit ; il l’a déplacé, dissimulé, puis amplifié. Face à cette autonomie juridique hors-sol se dresse un bloc normatif autrement plus ancien, plus structuré et surtout plus opérant, celui du parti de Paul Biya.

Les articles 23, 27 et 28 des Statuts de cette formation politique consacrent sans ambiguïté une architecture hiérarchique rigoureuse. Le président national en est, en effet, le centre de gravité absolu ; le Comité central, qu’il préside, détient les compétences stratégiques majeures, notamment en matière d’investiture ; le Secrétariat général agit sous son autorité directe pour garantir la discipline et l’exécution des décisions. Les articles 57, 58 et 59 du Règlement intérieur parachèvent cette construction en conférant au parti un pouvoir de direction politique des élus, un pouvoir de contrôle permanent et, surtout, un pouvoir disciplinaire effectif, immédiat et contraignant.

L’on est ainsi confrontés à deux rationalités normatives concurrentes. D’un côté, la rationalité juridique étatique, abstraite, procédurale, indifférente à l’appartenance à un parti politique ; de l’autre, la rationalité partisane, centralisée, hiérarchique, fondée sur la loyauté, l’investiture et l’obéissance statutaire. La loi de 2019 ne les articule pas ; elle les juxtapose. Et c’est dans cette superposition non pensée que la crise prend corps. Lorsque certains conseillers régionaux invoquent les articles 307 à 309 pour contester les investitures du RDPC et se porter candidat à une élection dans un exécutif parlementaire ou dans les Collectivités territoriales décentralisées (CTD), ils se situent dans une zone de légalité formelle irréprochable, mais dans une zone de rupture politique totale.

Juridiquement, rien n’interdit à un conseiller issu du RDPC de voter contre la ligne du Parti ; statutairement, tout l’interdit. De cette contradiction naissent deux figures également problématiques, celle du candidat investi par le parti mais politiquement légitime et juridiquement défait par une manœuvre interne, et celle du candidat élu contre la volonté expresse du parti, juridiquement protégé jusqu’au terme du mandat régional, mais politiquement orphelin, privé de la souveraineté du parti politique qui fonde, dans la réalité camerounaise, l’efficacité et la cohérence de l’action publique.