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Actualités of Thursday, 15 December 2016

Source: cameroon-info.net

Catastrophe d’Eséka: les souvenirs sont toujours là - Dr Éric Mevegue

Dr Éric Mevegue, Directeur de l’Hôpital de District d’Eseka Dr Éric Mevegue, Directeur de l’Hôpital de District d’Eseka

Vous venez de recevoir un don de la Communauté camerouno-américaine de Houston, qu’est-ce que cela va vous apporter ?

Ce don va nous apporter beaucoup de choses. Vous savez, avant la catastrophe, l’hôpital était dans un grand besoin. Mais qui peut-être ne se faisait pas beaucoup ressentir.

Il a fallu que l’accident d’Eseka arrive pour qu’on se rende compte qu’en fait, nous sommes une plaque tournante du Département parce qu’autour de nous, on a des sociétés industrielles et des sociétés forestières… Une société qui fait dans le transport ferroviaire, se retrouve en train d’avoir fait un grave accident chez nous. On avait un bloc opératoire défaillant.

C’est vrai qu’on faisait des chirurgies avant, mais ce n’était pas dans des conditions adéquates. Maintenant, cet accident-là a généré des élans de cœur et depuis, le plateau technique de l’hôpital est en train d’être revu à la hausse. Cette table d’opération servira déjà à opérer les patients dans de meilleures conditions, aussi bien pour les opérateurs que pour les patients eux-mêmes.

Il y a des accoudoirs, des pieds pour tenir la tête. Avant, par exemple, il fallait attacher le patient comme au village pour pouvoir faire une chirurgie.

Docteur, pouvez-vous nous raconter votre journée du 21 octobre 2016 ?

Il faut dire que le 21 octobre, ça faisait à peu près deux semaines que je venais de prendre service dans cet hôpital. C’était un vendredi comme un autre et j’étais en train de prendre connaissance de la paperasse de l’hôpital, du personnel, etc.

Il était environ 13 heures, j’étais au bureau et je recevais des gens. J’ai entendu un grand boucan à l’extérieur. Ça m’a inquiété parce qu’en fait, il y a des levées de corps les vendredis, mais les pleurs d’un deuil n’avaient rien de semblable au boucan que j’ai suivi ce jour.

On m’a interpellé, je suis sorti de mon bureau, et une fois arrivé dans la grande cour, j’ai vu une infirmière qui m’a fait comprendre qu’il venait d’y avoir un grave accident, et que les wagons avaient volé, c’était leur expression.

Comme étant sur la grande cour, on a une vue sur la gare, on a pu constater des nuages de poussière qui montaient. Puisqu’on n’a pas d’ambulance, il y a des motos qui déposaient des gens qui venaient assister à des levées de corps et le personnel déjà réquisitionnait ces motos pour descendre sur le lieu de l’accident.

Je les ai suivis quelques minutes après pour leur demander de rentrer au bureau parce qu’à la gare, on s’est rendu compte qu’on n’était pas d’une grande utilité parce que les populations s’activaient déjà à sortir les gens des wagons et à les transporter à l’hôpital.

J’ai demandé à mon personnel de remonter à l’hôpital où on serait plus utiles. Nous sommes remontés, il faut dire que nous ne sommes pas nombreux, nous étions environ 13 personnes ce jour-là. Les motos venaient déposer les malades et nous, on se chargeait de les répartir.

Les blessés graves étaient dirigés du côté de la chirurgie et en 15 minutes, on était débordés. Du coup, on déposait les malades partout où il y avait de l’espace, au point où nous avons sorti des matelas de réserve. Cela n’a pas suffi. Il y avait des malades partout dans la cour, les très graves et des pas blessés du tout. J’ai ensuite passé des appels et les renforts sont venus un peu après.

Peut-on dire aujourd’hui que l’hôpital d’Eseka s’est remis de l’accident de train du 21 octobre 2016 ?

Se remettre ? Non. C’est vrai que nous sommes à peu près deux mois après l’accident et les souvenirs sont toujours là. Vous imaginez ce qui s’est passé ici. Il y avait du monde dans cet espace. Il fallait passer au-dessus d’un malade pour atteindre un autre. On se remet à vivre, mais ce n’est pas vraiment encore oublié. La fréquentation a été en baisse les jours qui ont suivi l’accident.

C’est depuis une semaine seulement qu’on a l’impression que les populations reprennent confiance et recommencent à venir à l’hôpital. Il y a eu une sorte de stigmatisation des lieux parce qu’il y a eu du sang. Et nous sommes dans un village et les traditions sont assez ancrées. Il y en a qui disaient qu’il fallait faire des rites sur place comme il y a eu du sang versé. Il n’y a vraiment pas eu de rite, mais les gens recommencent à venir.

Est-ce qu’il y a encore des patients issus de cet accident au sein de votre hôpital ?

Non. Dès le premier jour, après le passage du Ministre de la Santé publique André Mama Fouda, il a eu à constater les défaillances de l’hôpital ce jour-là et il a demandé à ce que tout le monde soit évacué dans les grandes villes. Du coup, le samedi 22 octobre, on n’avait plus vraiment de malades, sinon ceux qui étaient dans des cliniques privées. Ils sont revenus vers nous, mais après, ils ont été transférés du côté de Yaoundé.

Quelles sont les principales difficultés auxquelles vous êtes confrontés dans la gestion de cette structure hospitalière au quotidien ?

Parmi nos principales difficultés, il y a déjà les problèmes d’électricité. La société qui est chargée d’assurer la fourniture de l’énergie électrique sur place (Eneo Cameroun, NDLR), a pas mal de défaillances. La preuve, depuis que vous êtes là, il y a eu au moins deux coupures d’électricité. Il y a des moments où cela dure carrément trois jours. On m’a fait comprendre qu’avant mon arrivée, ils faisaient des semaines sans courant et on a une morgue pour conserver les corps.

Donc, actuellement, nous sommes à la recherche d’un groupe électrogène d’au moins 25 KVA qui puisse alimenter à la fois la morgue et tout l’hôpital. En dehors de cela, nous avons réellement besoin d’une ambulance. On a fait une demande au Ministère de la Santé publique dans ce sens et on espère qu’ils vont répondre dans les jours qui suivent. Mais sinon, même deux ambulances ne nous gêneraient pas.

Avez-vous l’impression qu’après ce drame, les pouvoirs publics en particulier ont pris conscience de l’urgence qu’il y a à rééquiper cette infrastructure sanitaire ?

Oui, les gens ont pris conscience. Ils se sont souvenus qu’il y a un hôpital de District à Eseka. C’est quand même un département, mais avant cela, l’hôpital n’était pas dans les conditions d’un hôpital départemental. C’est vrai qu’il y a des gens qui s’étaient manifestés avant. Vous voyez la peinture qui est là, elle a été faite grâce à une native d’ici qui vit en Europe. Elle s’est dit que son village ne pouvait pas avoir un hôpital aussi peu présentable.

À travers son association, elle nous a fait la peinture et quelques travaux comme des carreaux apposés à certains endroits. Mais pour ce qui est du plateau technique, médical même, on était vraiment en déficit. Mais là, maintenant, depuis l’accident, le Ministère des Travaux publics a commencé à réagir, il y a des particuliers qui ont réagi, des associations également. On a, pas mal d’équipements qui arrivent et on a des promesses de mise à niveau.

S’il vous était demandé de dire un mot à tous ceux-là qui continuent de s’inquiéter du sort de votre hôpital depuis l’accident du 21 octobre, que leur diriez-vous ?

Laissons le passé au passé et préparons l’avenir. Cela veut dire que ce qui est arrivé et arrivé et maintenant, préparons-nous pour que cela ne puisse plus arriver.

Il faut fournir les moyens pour que l’hôpital soit remis à niveau. Ceci n’est pas valable seulement pour l’hôpital d’Eseka. Il faut que partout où il y a un hôpital qu’on lui donne les moyens de pouvoir faire face à une éventuelle catastrophe parce que la santé passe quand même avant tout.