Vous-êtes ici: AccueilActualités2022 07 11Article 670409

Actualités of Monday, 11 July 2022

Source: Kalara

Cameroun : un frère de Franck Biya fait annuler un décret présidentiel

Frank Biya Frank Biya

Pas d’accord avec le changement de son patronyme décidé par le mari de sa mère alors qu’il était encore en bas âge, le demi-frère du fils ainé du chef de l’Etat a saisi la Justice pour remédier à la situation. En dépit d’une opposition du ministère de la Justice estimant que la procédure était tardive, il a eu gain de cause.


Depuis trois ans, Marcel Gilles Ngoti Eyoum, cadre de banque, avait un gros souci avec son nom propre. Il l’a résolu de fort belle manière devant la Justice en renversant la présidence de la République et le ministère de la Justice. Il vient de faire annuler le décret présidentiel N°84-1278 daté du 22 octobre 1984 portant changement de [son] nom. La sentence a été prononcée devant le Tribunal administratif de Yaoundé le 7 juin dernier.

L’article premier du décret en question mentionne exactement : «Nanga Abanda (Jean-Paul), fils de Abanda Sobo et Nyankeng Belinga né le 4 mars 1956 à Kamban, est autorisé à changer les noms de son enfant Ngoti Eyoum (Marcel Gilles), né le 14 mars 1981 à Yaoundé, de mère Zanguena Atcham (Pauline), en ceux de Sobo Nanga (Marcel-Gilles)». Le second et dernier article charge le ministre de la Justice, Garde des Sceaux, de veiller à l’exécution de la décision et à sa publication dans le journal officiel.

Ce décret présidentiel pris il y a près d’une quarantaine d’années, n’a théoriquement plus d’existence ni d’effet juridique, le tribunal l’a effacé au motif qu’il baignait dans une terrible fraude sur l’état civile. Pour cause : M. Nanga Abanda, journaliste et écrivain de renom, ancien cadre au ministère de la Communication, présenté dans ledit décret comme étant «le père de l’enfant», a menti. C’est sa requête qui a provoqué la signature du décret litigieux par le secrétaire général adjoint de la présidence de la République de l’époque, Jean Nkuete, «agissant par délégation du président de la République». Le concerné assure aujourd’hui les fonctions de secrétaire général du Rdpc, le parti au pouvoir.

TPI d’Endom

Cette bataille judiciaire serait restée anodine si les différents protagonistes impliqués dans l’affaire étaient des citoyens lambda. Outre M. Nanga Abanda, déjà présenté, les autres intervenants évoqués plus loin ont des accointances avec les hautes sphères du pouvoir. Notamment Emmanuel Eyoum Ngoti, colonel de gendarmerie à la retraite. Pauline Zanguena Atcham, enseignante de lycée, mère (biologique) de Franck Biya, le fils ainé de Paul Biya, le chef de l’Etat. Le plaignant et son frère Franc Biya se ressemblent comme deux gouttes d’eau.

A travers son recours, M. Eyoum Ngoti explique en effet qu’il est né à l’Hôpital central de Yaoundé le 14 février 1981. Il est le fruit du couple Emmanuel Ngoti Eyoum, «son père biologie», et Pauline Zanguena Atcham. Il en veut pour preuve l’acte de naissance N°1335/81 dressé cette année-là par l’officier d’Etat civil de Yaoundé. Malheureusement, précise-t-il, son père biologie ne l’a pas reconnu à la naissance. Mais, dans la foulée, ses parents (biologiques) se sont séparés. Et, plus tard, sa mère a épousé le journaliste Nanga Abanda. Néanmoins, précise le plaignant, c’est son acte de naissance portant le patronyme de son père biologique qu’il a toujours utilisé. C’est d’ailleurs sous l’identité Marcel Gilles Ngoti Eyoum qu’il a fait toutes ses études et obtenu ses diplômes, par exemple le Baccalauréat en 2001.

Le problème : quand M. Nanga Abanda épouse la mère du plaignant, il décide dans la même lancée d’opérer la reconnaissance et la légitimation de l’enfant de sa femme comme s’il l’a eu avant leur mariage. De fait, les enfants nés avant le mariage de leurs parents sont légalement qualifiés de «naturel» ou «illégitime». Un enfant né hors mariage dont la mère se marie est dit légitimé par le mariage. Pour concrétiser la reconnaissance envisagée, le célèbre journaliste introduisait un recours en légitimation d’enfant devant le Tribunal de première instance (TPI) d’Endom. Le jugement lui donnant le feu vert a été rendu le 1er décembre 1982.

S’appuyant sur cette décision de justice, M. Nanga Abanda lançait ensuite la procédure de changement de nom de l’enfant ainsi légitimé en joignant son acte de mariage et le jugement dans sa requête. C’est cette procédure qui avait abouti au décret attaqué. Le plaignant ajoute que lorsque son beau-père a obtenu le décret critiqué, il a fait transcrire les mentions dans les registres d’état civil de la Communauté urbaine de Yaoundé.

«Grossières éraflures»

Informé des agissements du journaliste, le gendarme Eyoum Ngoti décidait d’attaquer le jugement (tierce opposition) à base duquel s’est prévalu son rival pour effacer son patronyme dans l’acte de naissance de l’enfant disputé. Il a eu gain de cause. 13 ans plus tard, le TPI d’Endom, indique le plaignant, a rétracté son jugement de légitimation d’enfant le 31 mai 1995. Le journaliste Nanga Abanda y est condamné à une forte amende pour «déclarations mensongères», poursuit-il.

M. Eyoum Ngoti assure qu’à cause de son «jeune âge», il n’était pas au courant de «la querelle des protagonistes» autour du contrôle de sa paternité. C’est de manière fortuite qu’il a découvert la fraude alléguée sur son état civil. Alors qu’il préparait un voyage vers l’Europe, il s’est rendu à la Communauté urbaine de Yaoundé afin d’obtenir une copie certifiée conforme de son acte de naissance à la souche pour des «formalités de voyage à l’extérieur».

Grande sera sa surprise, déclare le plaignant, «de constater que de grossières éraflures avaient été portées sur la souche dudit acte. Son nom Ngoti Eyoum avait été barré au stylo et remplacé par Sobo Nanga». Il apprendra des autorités de la mairie que ce changement d’identité résulte de l’application des dispositions du décret présidentiel querellé. Un décret qu’il s’est empressé d’attaquer en déposant un recours gracieux à la présidence le 30 septembre 2019, et dans lequel il invitait le chef de l’Etat à retirer son décret pour fraude. La présidence de la République n’a jamais réagi.

Partie au procès, le ministère de la Justice s’est borné à dire que le recours est tardif, car introduit 36 ans après la signature du décret présidentiel. Il avait déjà échoué, le 3 août 2021, à bloquer l’examen de la procédure au fond estimant que le tribunal est incompétent, car la fraude déplorée émane des décisions du juge judiciaire. Le parquet a soutenu le contraire rappelant que le décret est un acte administratif dont l’examen de la régularité est du ressort du juge administratif. Il a requis l’annulation du décret, invoquant le principe la fraude corrompt tout. Le tribunal l’a suivi à la lettre.