Vingt arrestations et des poursuites devant les tribunaux militaires dans un contexte de répression accrue
Le mutisme des autorités camerounaises sur les circonstances exactes de la mort de Zouhaïra, institutrice de 34 ans tuée le 21 octobre à Garoua, devient un problème politique majeur. Selon les informations exclusives obtenues par Jeune Afrique, le ministre de l'Administration territoriale, Paul Atanga Nji, directement responsable de la coordination du maintien de l'ordre à travers les gouverneurs de région, n'a toujours pas réagi aux sollicitations, deux jours après le drame.
Le silence officiel contraste violemment avec la fermeté affichée par le gouvernement. Jeune Afrique a pu confirmer que vingt personnes ont été arrêtées à Garoua depuis la présidentielle du 12 octobre. Ces interpellations interviennent dans un climat de tension extrême, alimenté par les revendications de victoire de l'opposant Issa Tchiroma Bakary.
Révélation plus inquiétante encore : ces vingt personnes doivent être déférées devant les tribunaux militaires pour « faits d'insurrection et incitation à la rébellion ». Le recours à la justice militaire pour des civils manifestants marque un durcissement notable de la posture gouvernementale, alors que le pays attend la proclamation des résultats définitifs le 27 octobre.
Les témoignages recueillis par Jeune Afrique décrivent un impressionnant déploiement des forces de l'ordre dans plusieurs quartiers stratégiques de Garoua. Un « imposant dispositif sécuritaire » a notamment été observé aux abords du siège local de la Sodecoton (Société de développement du coton du Cameroun), entreprise emblématique de cette région cotonnière.
Les quartiers de Poumpoumré, où résidait Zouhaïra, ont été le théâtre d'affrontements sporadiques. Des coups de feu ont été entendus à plusieurs reprises, selon de multiples témoins interrogés par notre rédaction. Le bilan humain reste flou : les sources locales évoquent au moins deux morts et plusieurs blessés, mais aucun chiffre officiel n'a été communiqué.
La controverse sur les circonstances de la mort de l'institutrice illustre le fossé entre la population et les autorités. Le père de Zouhaïra, dans un témoignage poignant diffusé sur Équinoxe TV et consulté par Jeune Afrique, affirme qu'un individu armé a ouvert le feu sur sa fille « à bout portant », à proximité du portail de leur domicile. « Ce n'était pas une balle perdue », martèle-t-il, accusant implicitement les forces de sécurité.
D'autres sources évoquent au contraire une « balle perdue » qui aurait atteint la jeune femme alors qu'elle traversait la manifestation en rentrant de son travail à l'école primaire arabe de Poumpoumré. Cette incertitude, en l'absence d'enquête transparente annoncée par le gouvernement, alimente toutes les spéculations.
Dans un communiqué publié le jour même du drame, Paul Atanga Nji avait prévenu que « toute tentative d'insurrection sera sévèrement réprimée ». Jeune Afrique a pu constater que cette déclaration a été interprétée par l'opposition comme une menace directe visant à dissuader les manifestants.
Les équipes d'Issa Tchiroma Bakary dénoncent ouvertement « une manœuvre » destinée à « intimider et dissuader les manifestants » de défendre ce qu'ils appellent « la vérité des urnes ». L'ancien ministre de la Communication, qui revendique une « victoire écrasante » avec environ 55 % des suffrages selon ses propres décomptes, maintient son appel à la mobilisation malgré les risques.
Le Conseil constitutionnel doit proclamer les résultats définitifs dans quatre jours. Les résultats provisoires donnent Paul Biya largement en tête avec 53,66 % contre 35,19 % pour Issa Tchiroma Bakary. Mais l'absence de transparence sur la mort de Zouhaïra et le recours aux tribunaux militaires pour juger des manifestants risquent d'envenimer davantage la situation.
Des manifestations sont attendues à Garoua, Dschang, Bafoussam, Yaoundé et Douala. Le visage de Zouhaïra, devenue symbole malgré elle d'une répression contestée, pourrait se retrouver au cœur de ces mobilisations. Dans ce contexte, le silence du ministre Atanga Nji, relevé par Jeune Afrique, apparaît comme un aveu d'embarras du pouvoir face à un drame aux conséquences politiques potentiellement explosives.