Actualités of Saturday, 1 November 2025

Source: www.camerounweb.com

Cameroun : interdiction de voyager pour les employeurs mauvais payeurs de cotisations sociales

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Dans un tournant radical de la politique de protection sociale, la Caisse nationale de prévoyance sociale (CNPS) et la Délégation générale à la sûreté nationale (DGSN) ont signé mercredi à Yaoundé un accord sans précédent. Désormais, tout employeur en défaut de paiement de cotisations sociales pourra se voir refuser la délivrance d'un passeport ou l'autorisation de quitter le territoire camerounais. Une mesure musclée qui divise autant qu'elle interpelle.

Fini le temps où les employeurs indélicats pouvaient tranquillement s'envoler vers l'étranger pendant que leurs salariés attendaient vainement leurs droits sociaux. Le Cameroun vient de franchir un cap décisif dans la lutte contre la fraude aux cotisations sociales en liant directement les droits de circulation des employeurs à leur régularité vis-à-vis de la CNPS.



Le directeur général de la CNPS, Noël Alain Mekulu Mvondo Akame, ne cache pas sa satisfaction. L'accord prévoit une "interconnexion digitale" entre les bases de données de la CNPS et celles de la police nationale. Concrètement, à chaque demande de passeport ou tentative de sortie du territoire, les services de la DGSN pourront vérifier instantanément si le demandeur est en règle avec ses obligations sociales.


Sans présentation d'une attestation de conformité sociale délivrée par la CNPS, aucun employeur redevable ne pourra obtenir de document de voyage ou franchir les frontières camerounaises. Une mesure radicale qui transforme la police en bras armé de la protection sociale.



Cette initiative répond à une hémorragie financière préoccupante. Chaque année, plusieurs milliards de francs CFA échappent aux caisses de la CNPS du fait de la dissimulation de salariés ou du non-versement des cotisations. Ces pertes compromettent la viabilité du système de prévoyance sociale et privent des milliers de travailleurs de leurs droits à la retraite, aux allocations familiales ou à l'assurance maladie.


"La fraude sociale et l'incivisme économique plombent notre système", a martelé le DG de la CNPS lors de la cérémonie de signature. Pour lui, ce partenariat avec la DGSN constitue un tournant dans la stratégie de recouvrement des créances sociales.


Le dispositif cible particulièrement les employeurs étrangers, souvent accusés de se soustraire à leurs obligations sociales avant de quitter discrètement le pays. Chinois, Libanais, Européens installés au Cameroun pour des projets temporaires : tous devront désormais justifier de leur régularité sociale avant tout déplacement international.

Cette mesure vise également les employeurs camerounais qui tentent de s'expatrier avec leurs capitaux sans honorer leurs dettes sociales. Un phénomène en recrudescence depuis la crise économique qui frappe le pays.


Au-delà de la restriction des déplacements, le partenariat CNPS-DGSN prévoit également :

Un suivi renforcé des plaintes déposées par la CNPS
Une diligence accrue des procédures judiciaires contre les employeurs défaillants
Une coopération plus étroite avec les services de renseignement pour traquer les fraudeurs
Des contrôles inopinés dans les entreprises suspectées de dissimulation de personnel



Si certains saluent cette initiative comme une avancée majeure pour la protection des droits des travailleurs, d'autres y voient une dérive inquiétante. Des juristes interrogés par notre rédaction s'inquiètent de la proportionnalité de la mesure et de son cadre légal.


"Lier les droits civils fondamentaux comme la liberté de circulation à une obligation fiscale ou sociale pose des questions constitutionnelles", s'interroge Me Simplice Kuate, avocat au barreau de Douala. "Que se passe-t-il en cas d'urgence médicale à l'étranger pour un employeur en litige avec la CNPS ? Cette mesure ne risque-t-elle pas d'être détournée à des fins politiques ?"
D'autres observateurs redoutent les erreurs administratives qui pourraient bloquer des employeurs parfaitement en règle. "L'interconnexion digitale, c'est bien sur le papier, mais qu'en est-il de la fiabilité des données ? Une erreur de saisie pourrait empêcher un chef d'entreprise de voyager pour signer un contrat vital", alerte un patron d'entreprise sous anonymat.


Dans un contexte post-électoral marqué par la répression politique et la méfiance envers les institutions, certains craignent que ce dispositif ne devienne un outil de pression sur les opposants ou les entrepreneurs indépendants.
"Nous sommes dans un pays où l'administration peut facilement être instrumentalisée. Rien ne garantit que cette mesure ne sera pas utilisée pour harceler des patrons jugés trop critiques du régime", confie un chef d'entreprise sous couvert d'anonymat.


La CNPS mise sur la dissuasion pour rétablir la discipline contributive. Reste à savoir si ce partenariat ambitieux sera appliqué de manière équitable et transparente, ou s'il deviendra un nouvel instrument de bureaucratie punitive.
"Tout dépendra de la volonté politique qui accompagnera ce dispositif", analyse un expert en protection sociale. "Si l'objectif est vraiment de protéger les travailleurs, cette mesure peut être efficace. Mais si elle sert d'autres agendas, nous risquons de créer un monstre administratif."

Pour l'heure, les employeurs camerounais sont prévenus : la fraude sociale n'aura plus de passe-droit. Reste à espérer que la justice sociale ne se transforme pas en justice expéditive.