Actualités of Monday, 22 December 2025
Source: www.camerounweb.com
Le capitaine Talla Foba et deux gradés de la Gendarmerie ont été interpellés le 3 novembre dans le cadre de l'enquête sur la fuite d'Issa Tchiroma Bakary. Leurs parcours révèlent les dérives d'une justice militaire expéditive.
Ils sont trois à avoir payé le prix fort de la fuite embarrassante d'Issa Tchiroma Bakary. Trois militaires arrêtés dans la précipitation, interrogés pendant des semaines au Secrétariat d'État à la Défense, puis relâchés faute de preuves. Les révélations exclusives de Jeune Afrique sur leurs arrestations et leurs parcours mettent en lumière les méthodes brutales d'une hiérarchie militaire sous pression.
Chef d'antenne de la Sécurité militaire à Garoua, le capitaine Talla Foba était l'homme de la situation. Responsable de la surveillance d'Issa Tchiroma Bakary, il était logiquement le premier suspect lorsque l'opposant a annoncé son installation au Nigeria. Selon les informations recueillies par Jeune Afrique, Talla Foba a été interpellé le 3 novembre à son domicile, sans ménagement, devant sa famille.
Transféré immédiatement à Yaoundé, l'officier a subi plusieurs semaines d'interrogatoires serrés. Les enquêteurs du SED cherchaient à lui faire avouer qu'il avait personnellement conduit Tchiroma à la frontière nigériane dans la nuit du 27 octobre, en échange d'une somme d'argent importante. Mais Jeune Afrique révèle que malgré la pression, le capitaine a maintenu sa version : il n'était pas de service cette nuit-là et n'a joué aucun rôle dans l'exfiltration.
L'absence totale de preuves matérielles a finalement joué en sa faveur. Aucune transaction bancaire suspecte n'a été détectée sur ses comptes. Aucun témoin n'a pu confirmer sa présence à la frontière. Son téléphone portable, analysé en détail, ne contenait aucune communication compromettante avec l'entourage de Tchiroma. Après sa libération, Talla Foba a été reversé à la Marine nationale, son corps d'origine, une sanction déguisée qui brise net une carrière prometteuse dans le renseignement militaire.
Deux gendarmes sacrifiés sur l'autel des tensions inter-services
Les deux gradés de la Gendarmerie nationale arrêtés aux côtés du capitaine Talla Foba ont vécu un calvaire tout aussi injuste. Jeune Afrique révèle que ces deux hommes, dont les noms n'ont pas été rendus publics pour préserver leur sécurité, étaient de simples exécutants chargés des patrouilles de surveillance autour de la résidence de Tchiroma.
Leur arrestation relève davantage de la logique bureaucratique que de véritables soupçons. Selon les sources de Jeune Afrique au sein de la Gendarmerie, la hiérarchie militaire cherchait à partager la responsabilité de l'échec entre plusieurs services. Si un officier de la Sémil était mis en cause, il fallait également des boucs émissaires du côté de la Gendarmerie pour équilibrer les accusations.
Les deux gendarmes ont été interrogés séparément pendant près de trois semaines. On leur reprochait d'avoir fait preuve de négligence la nuit du 27 octobre, voire d'avoir délibérément détourné le regard pendant l'exfiltration. Jeune Afrique révèle que les enquêteurs ont même tenté de les monter l'un contre l'autre, en suggérant à chacun que son collègue l'avait dénoncé.
Finalement relâchés, les deux gendarmes ont été mutés dans des postes éloignés, loin de la région du Nord. Une sanction administrative qui, selon Jeune Afrique, vise surtout à les éloigner du théâtre des opérations et à décourager toute velléité de témoigner publiquement sur les dysfonctionnements constatés.
Ce qui frappe dans le traitement réservé à ces trois militaires, c'est l'absence totale de procédure judiciaire formelle. Jeune Afrique révèle qu'aucun d'entre eux n'a été inculpé, aucun dossier n'a été transmis à un tribunal militaire, aucune charge précise n'a été retenue contre eux. Pourtant, leurs carrières sont désormais compromises.
Le capitaine Talla Foba, qui était promis à des responsabilités importantes au sein de la Sémil, se retrouve relégué à la Marine nationale où ses compétences en renseignement seront sous-exploitées. Les deux gendarmes, dont les états de service étaient jusqu'alors irréprochables, portent désormais l'étiquette infamante de "militaires ayant fait l'objet d'une enquête".
Cette justice expéditive révèle un système où la présomption d'innocence n'existe pas vraiment. Face à l'embarras politique causé par la fuite de Tchiroma, la hiérarchie militaire avait besoin de coupables, même sans preuves. Les trois hommes arrêtés ont servi de variables d'ajustement.
Le silence imposé aux victimes
Jeune Afrique révèle un détail glaçant : les trois militaires ont tous été contraints de signer des engagements de confidentialité concernant leur arrestation et les interrogatoires subis. Toute déclaration publique sur cette affaire entraînerait des poursuites pour violation du secret-défense et trahison.
Ce silence forcé illustre la volonté de l'état-major camerounais d'étouffer une affaire qui met en lumière ses propres défaillances. Plutôt que de reconnaître les failles du système de surveillance et d'y remédier, la hiérarchie préfère sanctionner des subalternes et imposer l'omerta.
Les familles des trois militaires, contactées discrètement par Jeune Afrique, témoignent d'un climat de peur. Certaines ont été menacées de perdre leurs avantages sociaux si elles s'exprimaient publiquement. D'autres ont subi des pressions pour quitter leurs logements de fonction, considérés désormais comme des privilèges immérités.
L'arrestation de ces trois militaires s'inscrit dans une guerre de communication perdue d'avance pour le régime camerounais. Incapable d'empêcher la fuite de son principal opposant, Yaoundé devait montrer qu'il agissait avec fermeté. Les trois hommes interpellés ont servi à donner le change, à prouver à l'opinion que des sanctions étaient prises.
Mais Jeune Afrique révèle que cette stratégie a échoué. Au sein de l'armée camerounaise, les arrestations arbitraires du capitaine Talla Foba et des deux gendarmes sont perçues comme une injustice flagrante. Le moral des troupes en a pris un coup, et la méfiance vis-à-vis de la hiérarchie s'est accrue.
Certains officiers supérieurs, interrogés confidentiellement par Jeune Afrique, admettent que ces arrestations ont été contre-productives. Au lieu de restaurer la confiance, elles ont créé un climat de suspicion généralisée où chacun craint d'être le prochain bouc émissaire en cas de nouvelle défaillance.
Le sort réservé à ces trois militaires dépasse le simple cas d'Issa Tchiroma Bakary. Jeune Afrique y voit le symptôme d'un système militaire camerounais où la culture du résultat prime sur le respect des procédures, où la sanction est préférée à l'analyse, où les hommes de terrain paient pour les erreurs stratégiques de leurs supérieurs.
Tant que cette logique prévaudra, les services de défense camerounais continueront d'accumuler les fiascos. Car comment demander à des agents de prendre des initiatives s'ils savent qu'ils seront les premiers sacrifiés en cas de problème ? Comment maintenir la loyauté des troupes quand l'arbitraire remplace la justice ?
Pour le capitaine Talla Foba et ses deux collègues gendarmes, il est désormais trop tard. Leurs carrières sont brisées, leurs réputations entachées, et le silence leur est imposé. Trois destins sacrifiés sur l'autel d'une communication politique ratée, révèle Jeune Afrique, dans une affaire qui restera longtemps dans les mémoires comme un symbole de l'impunité de la hiérarchie et de l'injustice faite aux subalternes.