Actualités of Tuesday, 16 December 2025
Source: www.camerounweb.com
Derrière la traque du journaliste Adolarc Lamissia se cache une affaire bien plus grave : une possible bavure militaire lors de l'intervention du Bataillon d'intervention rapide (BIR) pour débloquer une route stratégique. Jeune Afrique révèle les détails d'une opération qui aurait fait plusieurs victimes.
Un conflit routier qui dégénère
Tout commence le 4 décembre 2025 dans la région de l'Adamaoua. Selon les informations recueillies par Jeune Afrique, l'axe Ngaoundéré-Meiganga, route stratégique qui relie le nord du Cameroun à la région du Littoral, est bloqué par des transporteurs routiers. La raison : l'agression d'un chauffeur par un gendarme du peloton routier motorisé.
Ce qui aurait pu n'être qu'un incident mineur se transforme en crise majeure. Les camionneurs, solidaires de leur collègue, paralysent totalement cette artère vitale pour l'économie camerounaise. Des milliers de véhicules se retrouvent immobilisés, des marchandises périssables menacent de pourrir sous le soleil de l'Adamaoua.
Jeune Afrique révèle que les autorités ont tenté, pendant plusieurs jours, de dénouer la situation par la diplomatie. Le gouvernement camerounais a multiplié les concessions, cherchant à ramener les transporteurs à la raison. Le gouverneur de l'Adamaoua, Kildadi Taguiéké Boukar, s'est personnellement impliqué dans les négociations.
Mais toutes ces tentatives échouent. Les camionneurs, échaudés par des années d'abus et de tracasseries policières sur les routes camerounaises, ne cèdent pas. La situation s'enlise, et avec elle, c'est toute l'économie régionale qui se fige.
Face à l'impasse, les autorités décident de faire intervenir le Bataillon d'intervention rapide (BIR). Cette unité d'élite de l'armée camerounaise, créée dans les années 2000 et formée par Israël, est redoutée pour son efficacité... et sa brutalité. Initialement conçue pour lutter contre le banditisme transfrontalier et les groupes armés, le BIR est régulièrement déployé dans des opérations de maintien de l'ordre qui dépassent son mandat initial.
Selon les informations exclusives publiées par Jeune Afrique et révélées dans l'article d'Adolarc Lamissia, l'intervention du BIR pour dégager l'axe routier aurait tourné au drame. Des sources locales citées par le journaliste font état de "trois morts et onze blessés à Nandèkè", une localité située sur l'axe bloqué.
C'est précisément la publication de ces informations qui aurait déclenché la convocation du journaliste. Jeune Afrique a pu établir un lien direct et chronologique : l'article évoquant les victimes de l'intervention du BIR est publié quelques heures avant que le premier appel téléphonique ne parvienne à Adolarc Lamissia le 8 décembre.
La réaction quasi immédiate des autorités suggère que le contenu de l'article a touché un point sensible. Au Cameroun, toute information impliquant le BIR est considérée comme extrêmement sensible par les autorités militaires et sécuritaires. Cette unité, qui opère souvent dans le secret, fait rarement l'objet de couverture médiatique critique.
Jeune Afrique constate qu'à ce jour, aucun bilan officiel de l'intervention du BIR n'a été communiqué par les autorités. Ni le ministère de la Défense, ni celui de la Communication, ni le gouvernorat de l'Adamaoua n'ont confirmé ou infirmé les informations publiées par Le Jour concernant les victimes.
Ce silence contraste avec la véhémence de la réaction contre le journaliste. Si les informations étaient fausses, comme le suggère l'accusation de "propagation de fausses nouvelles", pourquoi les autorités ne publient-elles pas le bilan réel de l'intervention ? Cette absence de communication officielle alimente les suspicions sur une possible volonté de dissimulation.
Les révélations de Jeune Afrique s'inscrivent dans un contexte plus large. Ce n'est pas la première fois que des opérations du BIR font l'objet de controverses sur leur bilan humain. Dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, où le BIR est massivement déployé depuis 2017 pour combattre les groupes séparatistes, de nombreuses organisations de défense des droits humains ont documenté des cas d'usage excessif de la force.
La nouveauté dans le cas de Ngaoundéré, comme le souligne Jeune Afrique, c'est que l'intervention visait non pas des combattants armés, mais des civils manifestant pacifiquement, même si leur action bloquait une infrastructure stratégique.
L'affaire révélée par Jeune Afrique met également en lumière le pouvoir de nuisance des transporteurs routiers au Cameroun. Ces professionnels, qui assurent l'essentiel du transit des marchandises dans un pays où le réseau ferroviaire est limité, ont déjà par le passé démontré leur capacité à paralyser l'économie.
Leur blocage de l'axe Ngaoundéré-Meiganga n'était pas qu'un simple mouvement d'humeur. Selon les sources de Jeune Afrique, il s'inscrit dans un ras-le-bol généralisé face aux exactions des forces de l'ordre sur les routes camerounaises : rackets, contrôles abusifs, violences physiques.
En choisissant de révéler le bilan humain de l'intervention du BIR, Adolarc Lamissia a donné une voix à ces transporteurs et aux victimes collatérales d'une opération de maintien de l'ordre qui aurait dérapé. C'est cette fonction de témoin et de relais que les autorités semblent vouloir museler, comme le démontrent les investigations de Jeune Afrique.
Aujourd'hui, comme le rapporte Jeune Afrique, le journaliste Adolarc Lamissia reste injoignable, quelque part dans la région de l'Adamaoua ou peut-être déjà en fuite vers une autre partie du Cameroun. Les gendarmes le recherchent activement, tandis que les questions sur le véritable bilan de l'intervention du BIR restent sans réponse.
Cette affaire illustre la difficulté croissante pour les journalistes camerounais de couvrir les questions sécuritaires et militaires, domaines considérés comme des zones interdites à l'investigation journalistique par les autorités.