Actualités of Monday, 23 June 2025
Source: www.camerounweb.com
Quand le Grand Nord fait trembler l'échiquier politique de Yaoundé
Le 28 juin 2025 pourrait entrer dans l'histoire politique camerounaise comme le jour où l'équilibre des forces s'est définitivement fissuré au sommet de l'État.
Dans les couloirs du pouvoir à Yaoundé, une question obsède désormais les stratèges politiques : que se passe-t-il vraiment dans le Grand Nord ? Car si les regards se tournent habituellement vers les grandes métropoles lors des échéances électorales, c'est bien dans cette région que se joue aujourd'hui l'avenir politique du Cameroun.
Depuis 1983, Bello Bouba Maïgari navigue dans les eaux troubles de la politique camerounaise avec la sagesse d'un vieux routier. Ancien Premier ministre, président de l'UNDP, il a toujours su maintenir l'équilibre délicat entre autonomie politique et allégeance au pouvoir central. Mais aujourd'hui, à 78 ans, l'homme semble prêt à briser les codes.
Le Comité Central extraordinaire convoqué pour ce 28 juin au Palais des Congrès n'est pas un simple rendez-vous partisan. Pour la première fois, les instances régionales sont invitées à la table des négociations. Un signal fort qui traduit une réalité : la base ne suit plus.
"S'il reste avec Biya, nous ne le suivrons plus", lance Célestin Yandal, maire de Touboro. Ces mots, prononcés par un élu de terrain, résonnent comme un ultimatum. Ils révèlent une fracture générationnelle et politique profonde qui dépasse les simples considérations partisanes pour toucher au cœur de la représentativité.
Le Grand Nord, cette région qui a longtemps servi de réservoir électoral stable, découvre aujourd'hui les vertiges de l'émancipation politique. La jeunesse, en particulier, ne se reconnaît plus dans ces alliances héritées d'une autre époque.
Pendant que l'UNDP s'agite, une autre figure emblématique du Nord observe un silence assourdissant. Issa Tchiroma Bakary, habitué des déclarations fracassantes, semble avoir perdu sa voix. Ce mutisme, dans un contexte aussi tendu, vaut tous les discours.
Ministre de l'Emploi et de la Formation Professionnelle, président du FSNC, Tchiroma Bakary incarne cette génération de politiciens nordistes qui ont bâti leur légitimité sur leur proximité avec le pouvoir central. Son éventuel retrait de la scène politique marquerait la fin d'une époque.
Cette crise politique révèle un phénomène plus profond : la transformation sociologique du Grand Nord camerounais. Longtemps considérée comme une région traditionnelle et conservatrice, elle affirme aujourd'hui ses ambitions propres.
L'urbanisation croissante, l'émergence d'une classe moyenne éduquée et les défis sécuritaires liés aux incursions de Boko Haram ont profondément modifié les attentes des populations. Elles ne se contentent plus d'être des alliées, elles veulent être des actrices.
Si Bello Bouba Maïgari franchit le Rubicon, les conséquences dépasseront largement le cadre régional. C'est tout l'équilibre ethno-politique du Cameroun qui pourrait être remis en question.
Le système politique camerounais repose depuis l'indépendance sur des équilibres subtils entre les différentes régions. La défection du Grand Nord obligerait Paul Biya à repenser sa stratégie d'alliance et pourrait ouvrir la voie à d'autres recompositions.
À moins de quatre mois de l'élection présidentielle, le Cameroun entre dans une période d'incertitude inédite. Les cartes sont en train d'être rebattues, et personne ne peut prédire avec certitude quelle sera la configuration finale.
Une chose est sûre : le 28 juin 2025 ne sera pas un jour comme les autres dans l'histoire politique camerounaise. Il pourrait marquer le début d'une nouvelle ère, celle où les alliances ne se décrètent plus depuis Yaoundé mais se construisent sur le terrain, au plus près des aspirations populaires.
Le Grand Nord, longtemps considéré comme une région périphérique, s'apprête peut-être à prendre sa revanche sur l'histoire. Et à rappeler que, en politique, rien n'est jamais acquis définitivement.