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Actualités of Vendredi, 12 Octobre 2018

Source: lemonde.fr

Ambazonie: un proche de Paul Biya déclare la fin du conflit

Les populations sont pris entre les feux de l’armée et des séparatistes Les populations sont pris entre les feux de l’armée et des séparatistes

Un épais brouillard enveloppe Buéa en cette matinée d’octobre. Il ne peut cependant dissimuler les crimes commis et la peur qui a envahi les esprits dans la capitale de la région Sud-Ouest comme dans l’autre région anglophone du Cameroun, le Nord-Ouest. L’entrée de la ville a été désertée de ses habitants, laissée aux seuls militaires et policiers, qui en contrôlent les entrées et les sorties. Quelques épaves de véhicules calcinés, des douilles de gros calibre sur la chaussée, des marchés et des maisons laissés à l’abandon indiquent ce que chacun nomme ici pudiquement « la situation » est en réalité une guerre qui ne dit pas son nom.

Un conflit à huis clos entre les soldats d’un régime autiste et vieillissant et des milices qui combattent pour l’improbable indépendance d’un Etat qu’elles nomment Ambazonie. Les victimes sont à chercher parmi ceux que les premiers sont censés protéger et les seconds libérer. « En un an, nous avons reçu plus de 100 blessés par balle, à 90 % des civils, alors que, lors des cinq années précédentes, nous n’en avions pas vu plus de deux », se désole George Enow Orock, le directeur de l’hôpital de Buéa.

« Peur des balles perdues »

A la mi-septembre, Amnesty International comptabilisait que « depuis un an, jusqu’à 400 citoyens ont été tués par les forces de sécurité et les séparatistes armés ». Un bilan que l’organisation de défense des droits humains considère comme très probablement sous-estimé. Sous couvert d’anonymat, un officier de l’armée camerounaise avance que « le pouvoir ne communique pas dessus mais, dans les échanges de feu, les soldats ont éliminé des centaines de sécessionnistes ». Amnesty International a pour sa part recensé « plus de 160 cas de membres des forces de sécurité morts aux mains des séparatistes armés ».

A ces chiffres, il faudrait ajouter la multitude de villages brûlés, les gens qui ont dû fuir leur domicile, les arrestations et les exécutions sommaires perpétrées loin de tout regard, les tortures infligées, les enfants privés de scolarité, les entreprises fermées, les administrations détruites.

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A Buéa, deux jours après le scrutin présidentiel du 7 octobre sur lequel les indépendantistes ambazoniens sont arrivés à imposer par la menace un boycottage largement suivi, Mary et Rachel (prénoms d’emprunt) ont d’autres soucis que les questions électorales. Les deux dames, qui ont installé un petit étalage de tomates et d’oignons devant des échoppes closes, confient leur « peur des balles perdues », que « les Amba boys ne s’en prennent à la population », l’impossibilité de fuir la ville faute d’argent et l’effroi dès qu’apparaît dans la rue un Toyota Hilux blanc banalisé dans lequel circulent des militaires. « Quand il passe, quelqu’un doit mourir », affirment-elles sous le regard approbateur de deux jeunes hommes.

Brutalité des forces gouvernementales

Pour rester en vie quand on est un homme en âge de combattre, à Buéa comme dans l’ensemble des deux régions anglophones, mieux vaut éviter de porter un blouson qui pourrait dissimuler une arme, des jeans déchirés, un tricot noir, des tatouages ou une coiffure rasta qui pourraient vous rendre suspect aux yeux des policiers et des militaires, racontent plusieurs sources.

Si la population s’accorde pour dénoncer la brutalité des forces gouvernementales, les revendications indépendantistes, et plus encore la manière dont est menée la lutte par les différents groupes répondant notamment au nom d’Ambazonia Defence Forces, Red Dragons ou 7 Kata, sont loin de faire consensus.

Un fonctionnaire rencontré à Buéa voit en eux « les restaurateurs » d’une grandeur passée, mais Joshua, l’un des rares commerçants encore présents dans la ville, a bien du mal à les dépeindre en Robin des bois. « Je comprends leurs revendications, mais ont-ils besoin d’empêcher les enfants d’aller à l’école, de bloquer le commerce ou d’interdire les élections ? Tout cela est destructif », juge cet homme qui dit avoir subi une réduction de 70 % à 80 % de son activité du fait de la crise. Selon un rapport du patronat camerounais, publié le 13 septembre, « l’escalade des violences » lors des deux années de crise a engendré « un manque à gagner estimé à 269 milliards de francs CFA [410 millions d’euros]. »

Cependant, ce ne sont pas les répercussions économiques et sociales qui inquiètent le plus Joshua, mais les menaces sur sa sécurité : « J’ai reçu des appels d’au moins six numéros pour me dire que je dois donner entre 500 000 et 5 millions de francs CFA pour soutenir la cause. On me menace de brûler ma maison. » Il a donc fait partir sa femme et ses quatre enfants, ne sort quasiment plus par peur d’un enlèvement et se plie à l’obligation des journées « ville morte », imposées chaque lundi par les Ambazoniens, par peur de voir son commerce incendié.

Dérives criminelles

Le révérend Samuel Fonki, à la tête de l’Eglise presbytérienne camerounaise, fait partie des hommes de bonne volonté qui tentent de trouver une issue à « cette situation qui a dégénéré de manière effrayante ». Avec des dignitaires catholiques et musulmans, il ambitionne d’organiser les 21 et 22 novembre à Buéa une « conférence de tous les anglophones », des assises qui doivent permettre de situer les souhaits des populations et de trouver une voie vers la paix.

S’il déplore l’absence de volonté gouvernementale d’ouvrir un dialogue et la brutalité de l’armée qui a radicalisé les esprits, il ne ménage pas les chefs de file sécessionnistes, basés aux Etats-Unis ou en Europe, qui, « assis sur leurs toilettes, décrètent des journées “ville morte” avant de partir au travail et envoient les enfants de la région mourir quand les leurs sont à l’école ».

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Depuis l’arrestation en janvier au Nigeria de dix dirigeants séparatistes et leur extradition à Yaoundé, les branches politiques et militaires sont pilotées par des personnalités installées à Washington, à Baltimore et en Norvège. Un commandement très loin du front qui engendre des dérives criminelles. « A Bafut, en septembre, ils ont arrêté le principal d’une de nos écoles et lui ont tiré dans la tête. Par chance il n’est pas mort, relate le révérend Fonki. Pour la libération des six élèves qu’ils avaient kidnappés, nous avons dû payer pour chacun 700 000 francs CFA. »

Ces actes de banditisme sont une aubaine pour les autorités camerounaises. « La cause ambazonienne est terminée, affirme un proche du président Paul Biya. Ce sont des bandes armées qui sèment la désolation avec la complicité d’intérêts économiques en Occident qui voient en la création de micro-Etats une aubaine pour l’exploitation des richesses. » Quels sont ces intérêts occidentaux ou ces richesses si convoitées ? Ce cadre du pouvoir ne veut pas en dire plus.

Le déni et la répression

Reste que les autorités n’ont rien fait pour empêcher une dégradation de la situation, bien au contraire. Alors que la crise avait éclaté en octobre 2016 sur des revendications d’avocats et d’enseignants demandant une meilleure prise en compte de leurs spécificités héritées de la colonisation britannique et une moins grande marginalisation des deux régions anglophones rattachées au Cameroun en 1961, Yaoundé a joué sur deux registres : le déni et la répression.

Les dirigeants anglophones les plus modérés, tenants d’un retour à un système fédéral en vigueur jusqu’en 1972, ont été emprisonnés pendant huit mois, ouvrant ainsi grand la voie aux partisans d’une sécession des deux régions qui abritent environ 20 % de la population du pays.

Les victimes de ce conflit qui aurait pu être aisément évité se retrouvent notamment à Douala, la capitale économique du Cameroun, mais aussi de l’autre côté de la frontière, au Nigeria. Parmi les quelque 200 000 réfugiés dans leur propre pays, on pourrait citer Julius, « le meilleur tailleur de Mamfe », qui survit aujourd’hui en changeant des pneus ; Sylvia, la petite marchande de fripes de Buéa qui vend désormais sa nudité ; ou encore Frida, qui a fui cette ville avec ses sept enfants après avoir été menacée. Son tort fut d’avoir appelé à la paix. Encore terrorisée, elle répète machinalement : « Nous ne sommes nulle part en sécurité. Nulle part. »