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Actualités of Friday, 27 July 2018

Source: connaissances-savoirs.com

Ambazonie: comprendre l’évolution du problème anglophone

La crise anglophone dure et continue de faire des victimes. La crise anglophone dure et continue de faire des victimes.

Le « problème anglophone » est souvent présenté comme l’une des conséquences du caractère de minorité des Camerounais originaires des régions du Nord-ouest et du Sud-ouest. Le terme de « minorité » est généralement associé à l’infériorité numérique. L’ancien Cameroun méridional, qui ne constitue qu’une infime partie de l’ensemble national est, logiquement, minoritaire aux plans géographique et démographique. Il faut souligner que les facteurs linguistiques, ethnique et culturel que l’on retient pour définir les minorités sont dans notre cas à relativiser. Les divisions opérées par la colonisation et le partage de 1916 n’ont pas tenu compte de la répartition spatiale des groupes ethniques. De ce fait, plusieurs peuples culturellement apparentés se retrouvent dans l’ancien Cameroun britannique et dans l’ancien Cameroun français.

S’agissant particulièrement du caractère de minorité linguistique des populations de l’ancien Cameroun méridional, on ne peut le retenir comme critère de différenciation que si l’analyse prend en compte les langues officielles. Ainsi, l’anglais serait la langue officielle du Cameroun méridional et le français la langue officielle du Cameroun oriental. Ce raisonnement a, d’ailleurs, été celui d’une partie de l’élite anglophone et a servi à nourrir le « problème anglophone », qui est de nature à saper les efforts que l’État postcolonial déploie pour forger l’unité et l’intégration nationales. L’un des moyens choisis pour réaliser l’unité nationale et l’intégration a été le passage de la juxtaposition à la fusion des structures, qui a également entrainé la fusion des langues coloniales, devenues langues officielles d’égale valeur. Et c’est lors du passage de la juxtaposition à la fusion des structures que le « nationalisme » anglophone, en veilleuse depuis la conférence de Foumban, a explosé.

Origines du « problème anglophone »

Les avis divergent sur l’origine de ce qu’il est convenu aujourd’hui d’appeler le « problème anglophone ». Selon Konings et Nyamnjoh (1997 : 207), c’est la conférence de Foumban de 1961 qui a jeté les bases de ce « problème ». Cette réunion, qui n’a pas comblé les attentes relatives à l’égalité entre les deux parties du Cameroun, a été, de leurs avis, un simple passage à l’intégration totale de la région anglophone dans un État très centralisé. Ce qui a peu à peu créé chez les Anglophones le sentiment d’être « marginalisés, exploités, assimilés » par l’État francophone. Ce n’est donc pas à la faveur de l’ouverture démocratique de 1990 que l’élite anglophone a commencé à protester ouvertement contre la subordination supposée des Anglophones et a engagé des actions pour l’autodétermination et l’autonomie des régions du Nord-ouest et du Sud-ouest.

Agha Njumbe (2011 : 3), dont le point de vue ne s’accorde pas avec celui de Konings et Nyamnjoh (1997), relève pour sa part que le fédéralisme issu de la conférence de Foumban a accordé un égal statut au Southern Cameroons et à la République du Cameroun comme prévu dans l’accord de tutelle. C’est donc en 1972, selon l’auteur, que surgissent des dissensions. Le passage de l’État fédéral à l’État unitaire fait naitre chez les Anglophones le sentiment que leur identité a été foulé. Agha Njumbe (2011 : 3) résume ainsi les conséquences de ce changement, qui de son avis persistent :

- Les structures économiques du Cameroun méridional ont été pillées, condamnant les populations à un état de dépendance économique qui les force à migrer vers le Cameroun français pour chercher des emplois ;
- Des sociétés comme la Santa coffee estate, la Wum Area development authority, le Ntem oil palm estate, le domaine forestier Ako, la centrale hydroélectrique de Yoke ont été abandonnés, de même que les ports maritimes ;
- La banque autochtone du Cameroun méridional a été fermée et ses ressources ont été pillées ;
- Des tentatives infructueuses ont été faites dans les années quatre-vingt-dix pour construire un pipeline reliant la Société nationale de raffinage (Sonara) au port maritime de Douala ;
- La Sonara, les sociétés Plantecam, Delmonte et les Brasseries paient leurs impôts à Douala, au Cameroun francophone, pourtant elles ont leurs sièges au Cameroun anglophone ;
- Bien que basée à Limbe, la Sonara immatricule toutes ses voitures à Douala.
- Les plans de développement industriel se font au profit de la partie française alors qu’il existe des gisements de minéraux, des attractions écotouristiques potentielles dans le Cameroun anglophone, qui sont inexploités ;
- Le projet de construction d’un barrage sur les chutes d’eau de Menchum, qui peut produire assez d’électricité pour faire fonctionner les industries sidérurgiques et alimenter l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest est négligé.

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Ces observations, qui soulignent la marginalisation de l’ancien Cameroun méridional au plan économique, montrent que le passage de l’État fédéral à l’État unitaire a été perçu, par une partie de l’élite anglophone, comme une autre forme de colonisation, les régions du Nord-ouest et du Sud-ouest dépendant désormais de l’ancien Cameroun français. L’unification a donc été considérée, par l’élite anglophone, comme une annexion du Southern Cameroons. Un raisonnement curieux, car si l’on peut dénoncer des méprises comme l’abandon de certaines sociétés des régions du Nord-ouest et du Sud-ouest (certaines sociétés de la partie francophone du pays vont connaitre le même sort) où l’obligation d’immatriculer les véhicules des sociétés ayant leurs principaux sièges dans ces régions à Douala, il faut reconnaitre que l’unification signifiait que, désormais, les projets de développement devenaient l’apanage du pouvoir central.

Toujours au sujet de l’unification de mai 1972 qui finalement est un évènement doublement important, Konings et Nyamnjoh (1997 : 211-213) estiment qu’elle n’a fait que renforcer la frustration des Anglophones en raison de leur perception de leur marginalisation politique, de la faiblesse de la mise en valeur des ressources à leur profit, en particulier le pétrole, et des tentatives de francisation. Tout cela s’est accompagné d’une perte d’hégémonie de l’élite côtière de la région du Sud-ouest au profit de celle des Grassfields de Bamenda (Nord-ouest), accaparant les postes et les meilleures terres de la région du mont Cameroun, provoquant un fort ressentiment contre eux. Les mêmes auteurs écrivent que la division des anglophones et un système répressif redoutable n’a pas permis l’expression de ces frustrations jusqu’en 1982. Un an après, on va assister à une série de manifestations qui se nourrissent des décisions prises par le pouvoir central :

- En 1983, le Gce (General certificat of education) est modifié et on y inclut le français comme matière obligatoire sans que, malheureusement, l’anglais ne le soit pour le baccalauréat francophone. Cette décision déclenche une grève des étudiants anglophones ;

- En 1984, le passage de la République unie à la République du Cameroun entraine une autre vague de protestations. Les Anglophones estiment que la nouvelle appellation de l’État, qui n’est que le nom du Cameroun français indépendant avant la réunification, signifie leur assimilation à la partie francophone et l’aliénation de leur identité ;

- En 1985, un avocat anglophone, Fon Gorji Dinka, est arrêté après avoir déclaré anticonstitutionnel le régime de Yaoundé. Il appelait, par la même occasion, à l’indépendance du Southern Cameroons, rebaptisé République d’Ambazonie. La même année, les élites anglophones soulignent, dans plusieurs documents, leur mise à l’écart du pouvoir politique.

On retient de ce qui précède que le « problème anglophone » est né de la conjonction de plusieurs facteurs. Même si la conférence de Foumban ne leur a pas donné entièrement satisfaction, l’élite anglophone se contentait du fédéralisme, car cette forme de l’État signifiait, selon eux, que le Southern Cameroons et la République du Cameroun étaient deux État fédérés équivalents. L’article premier de la constitution du 1er septembre 1961 reconnait en effet que

La République fédérale du Cameroun est formée, à compter du 1er septembre 1961, du territoire de la République du Cameroun, désormais appelé Cameroun oriental, et du territoire du Cameroun méridional anciennement sous tutelle britannique, désormais appelé Cameroun occidental.

La question linguistique, qui va s’inviter aux débats lors des revendications, soit pour le retour au fédéralisme, soit pour la sécession du Southern Cameroons, semble être résolue dès l’alinéa 3 de l’article premier. Sans surprise, les langues des anciennes puissances tutrices deviennent les langues officielles de l’État fédéral.

Les langues officielles de la République fédérale du Cameroun sont : le français et l’anglais.

Le Président de la République fédérale, selon l’article 8 de la constitution, est Chef de l’État fédéral et Chef du Gouvernement fédéral. Il est assisté dans sa mission par un vice-président de la République fédérale. Selon l’article 9 de la loi fondamentale, ces deux autorités ne peuvent être originaires d’un même État fédéré. Si le président de la République est un natif du Cameroun oriental, le vice-président doit être originaire du Cameroun occidental et inversement.

La réunification va se traduire, dans les faits, par la juxtaposition des structures fédérées : chaque État fédéral a son Premier ministre, son Assemblée, son système judiciaire, etc. D’où le sentiment de semi-indépendance de l’élite anglophone. Bien que la constitution de 1961 soit rédigée en français et en anglais, elle portait la mention selon laquelle c’est le texte en français qui faisait foi. Une mention qui, selon Zang Zang (2013 : 314) était suffisante pour contrarier les Anglophones.

La révision constitutionnelle de 1972 tort définitivement le cou à l’État fédéral. L’article premier (nouveau) tranche sans pitié :

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La République fédérale du Cameroun, formée de l’État du Cameroun oriental et de l’État du Cameroun occidental devient à compter de l’entrée en vigueur de la présente constitution, un État unitaire sous la dénomination de la République unie du Cameroun […]

Selon l’article 5 (nouveau), le président de la République, chef de l’État et chef du gouvernement, n’est plus assisté par un vice-président. Cet article lui donne la possibilité de désigner un Premier ministre à qui il peut confier la conduite de certaines affaires de l’État. Les structures fédérées qui laissaient à l’élite anglophone le sentiment d’une semi-indépendance étaient appelées à disparaitre dans des structures unies, contrôlées depuis Yaoundé. Pour une majeure partie de l’élite de l’ancien État fédéré du Cameroun occidental, cela signifiait que l’égalité issue de la constitution fédérale était gelée et que la majorité francophone avait décidé d’absorber la minorité anglophone, que les Anglophones étaient de fait condamnés à perdre leur identité culturelle et linguistique.

Les développents qui précèdent laissent observer que la fédération signifiait, pour les Anglophones, qu’ils avaient un État fédéré dont la gestion leur incombait, qui avait ses structures et surtout sa langue officielle. L’anglais était donc perçu comme la langue officielle de l’État anglophone et le français comme la langue officielle de l’État francophone. Car entre autres revendications, ils vont dénoncer l’impérialisme linguistique. Au-delà de ses aspects économiques ou politiques, le « problème anglophone » est aussi, dès ses origines, un problème linguistique, la langue française étant perçue comme un agent vecteur de l’impérialisme du Cameroun oriental. Des constats qui amènent à se poser les questions suivantes : que signifiait réunification pour l’élite anglophone ? Que signifiait réunification pour la majorité francophone ?

Les paragraphes qui précèdent montrent que pour les premiers, réunification signifiait « création d’un État fédéral composé de deux États fédérés ». Dans un tel État, certaines compétences sont, par nature, plus enclines à être exercées par le pouvoir central. D’autres sont par contre à portée plus locale, et donc exercées par les entités fédérées. Ce statut implique le partage des compétences entre le pouvoir central (diplomatie, défense, politique monétaire, économie, etc.) et les entités fédérées (mariage, divorce, naissances et décès, éducation, sécurité publique, politique fiscale, justice, etc.). Réunification était donc synonyme de juxtaposition pour l’élite anglophone. Pour la majorité francophone, il fallait d’abord juxtaposer les structures avant de les fusionner. Car réunir signifie effectivement refaire l’unité territoriale, politique, administrative et morale d’un État autrefois divisé. L’exemple de l’Allemagne est assez illustrateur. Cette stratégie (juxtaposition puis, fusion) ne porte-t-elle pas les germes du « problème anglophone » ? Était-ce la meilleure ?

Nous l’avons précédemment relevé, le contexte politique n’autorisait pas la fusion immédiate des deux Cameroun. Il fallait donc manœuvrer en douce. On peut déduire que le « problème anglophone » est aussi la conséquence de l’interprétation du mot réunification. Estimant qu’ils ont été roulés, l’élite anglophone tentera de s’organiser pour aller à la reconquête de l’indépendance perdue.

Les révendications de l'élite anglophone (à suivre)

Extrait : Les Enjeux de la question linguistique dans le processus de développement des ex-colonies. L'exemple du Cameroun, Paris, Connaissances et savoirs, 2017, pp. 248-255.