Une journée décisive s'est jouée ce mardi 16 décembre 2025 au Tribunal militaire de Yaoundé. Dans le cadre du procès retentissant sur l'assassinat de Martinez Zogo, retrouvé mort en janvier 2023, deux figures majeures du paysage médiatique camerounais ont brisé le silence. Paul "Daisy" Biya et Emmanuel Koloko, convoqués comme témoins du commissaire du gouvernement, ont livré des révélations susceptibles de bouleverser le cours de cette affaire qui tient le Cameroun en haleine depuis près de trois ans.
Ces deux journalistes ne sont pas des témoins ordinaires. Ils entretenaient des contacts réguliers avec Martinez Zogo, l'ancien patron de la radio Amplitude FM. Plus encore, ils figurent parmi les premiers à avoir diffusé des informations sur son décès tragique et sur les sévices corporels qu'il a subis avant sa mort. Leur position privilégiée en fait des témoins incontournables pour reconstituer les derniers jours de l'animateur vedette.
À la barre, Paul Daisy Biya a longuement détaillé la dernière interview qu'il a réalisée avec Martinez Zogo. Un entretien capital où l'animateur s'en prenait avec une virulence inhabituelle à Jean-Pierre Amougou Belinga, l'un des principaux accusés dans cette affaire, ainsi qu'au directeur du cabinet civil de la présidence de la République.
Cette déposition n'est pas anodine. Pour Maître Ludovic Sabet, avocat d'Amplitude FM, elle revêt une dimension stratégique majeure : « Cela donne une idée de l'implication que le ministère public voudrait par rapport à ces deux accusés là ». En d'autres termes, le parquet chercherait à établir un lien direct entre les accusations publiques de Martinez Zogo et son assassinat.
La révélation la plus explosive est venue lorsque Paul "Daisy" Biya a affirmé que Martinez Zogo lui avait remis des documents compromettants visant directement Jean-Pierre Amougou Belinga. Selon le témoin, ces pièces sensibles auraient été transmises à Bruno Bidjang, présenté comme un proche de l'homme d'affaires mis en cause.
Cette affirmation a immédiatement déclenché une vive réaction de la défense. Maître Christophe Tchudjo, avocat de Jean-Pierre Amougou Belinga, a contesté toute logique criminelle dans ce scénario : « Pourquoi, à cet instant précis, a-t-il provoqué une conversation sur WhatsApp avec Bruno Bidjang ? Quelqu'un de raisonné peut-il planifier l'assassinat d'une personne et publier cette planification ? C'est absurde ! »
Pour la défense, cette version des faits ne tient pas la route. Comment imaginer qu'un commanditaire présumé aurait laissé des traces numériques aussi évidentes de ses intentions criminelles ?
Paradoxalement, malgré ces révélations, l'accusation elle-même exprime sa frustration. Maître Claude Assira, avocat de l'État du Cameroun, a déploré sans détour la lenteur et la qualité des débats : « Il y a des témoins qui viennent simplement faire du bavardage. Je n'ai pas le sentiment que tout ait véritablement été mis en œuvre pour obtenir la manifestation de la vérité. Et je pense que la vérité, malheureusement, a tendance à s'éloigner et à s'étioler avec le temps ».
Des mots durs qui constituent une critique à peine voilée du fonctionnement du tribunal. L'avocat estime que l'institution judiciaire « n'en fait pas assez pour faire éclater la vérité », dans une affaire où les enjeux dépassent largement le cadre strictement judiciaire.
En sociologie politique, le secret est souvent le bouclier du pouvoir. Mais dans cette affaire, la parole semble progressivement se libérer, même si le rythme en frustre plusieurs observateurs. Le procès met en lumière les zones d'ombre du système médiatique et politique camerounais, où s'entremêlent intérêts économiques, influences politiques et liberté de la presse.
Le procès observera désormais une pause avant de reprendre au mois de janvier 2026. L'objectif affiché par le tribunal est ambitieux : tenir deux audiences par mois pour entendre les plus de 30 témoins encore attendus à la barre. À ce rythme, l'affaire pourrait se poursuivre pendant de longs mois encore.
Cette cadence soulève néanmoins des questions. Est-elle suffisante pour faire toute la lumière sur cet assassinat qui a traumatisé la profession journalistique camerounaise ? Permettra-t-elle de préserver la mémoire des faits et la fiabilité des témoignages, alors que le temps efface progressivement les traces et altère les souvenirs ?
Au-delà du sort judiciaire des accusés, ce procès est devenu un symbole. Symbole de la lutte pour la liberté de la presse au Cameroun, symbole de l'impunité dont jouiraient certaines personnalités influentes, symbole enfin de la capacité du système judiciaire à rendre justice dans une affaire hautement sensible.
Les témoignages de Paul Daisy Biya et Emmanuel Koloko marquent indéniablement un tournant. Mais la vérité tant recherchée sur l'assassinat de Martinez Zogo reste encore à établir pleinement. Rendez-vous en janvier 2026 pour la suite de cette saga judiciaire qui continue de captiver et d'interroger tout un pays.









