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Opinions of Jeudi, 28 Octobre 2021

Auteur: Prof Edouard Bokagné

Fédéralisme pour le Noso: le prof Bokagné détruit les arguments de Dieudonné Essomba

Dans une tribune publiée ce jeudi 28 octobre le professeur Edouard Bokagné donne sa lecture du conflit dans le Noso. L’universitaire s’est penché sur les propositions relatives au dialogue faites par plusieurs acteurs politiques camerounais. Le prof Bokagné a également dit ce qu’il pense de l’analyse du Dr Dieudonné Essomba notamment sur le fédéralisme comme moyen pour mettre fin à la crise anglophone.

La rédaction de CamerounWeb vous propose la tribune du prof Bokagné

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"Dans la crise du NOSO, quand on dit "dialogue", on doit, d'après ce que j'ai antérieurement dit, poser les bases intellectuelles de ce dialogue. Si vous mettez deux entités choisies sans ce travail préliminaire dans un espace de débat, ça donnera un dialogue de sourds. Tout le monde ne peut débattre avec n'importe qui et de n'importe quoi. Il faut des bases.

Aucun dialogue ne se peut sans la définition préalable de qui s'exprime et en qualité de quoi. Autrement, eh bien : allez chercher le fou du quartier et discutez avec lui de comment mettre fin aux troubles du NOSO. Vous en obtiendrez certainement quelque chose dont je doute sérieusement de l'utilité. Alors ne soyez pas stupides. Pour parler de dialogue, voyez d'abord entre qui et qui.

Il y a, pour tout dialogue, des fondamentaux logiques. L'un d'eux, en fait le second, est dit de connaissance préalable. Ceux qui discutent doivent au départ s'être connus et avoir établi, entre eux, un niveau d'entendement pour pouvoir se comprendre. La jeune femme qui rencontre, pour la première fois, une mine patibulaire au détour d'une ruelle obscure et malfamée, ne dialogue pas avec lui. Pas de connaissance préalable. D'ailleurs, le cadre ne s'y prête pas.

Le cadre, justement, est le troisième élément d'un dialogue fructueux. Quand Dieudonné Essomba parle de son fédéralisme, il parle en fait de ce cadre. Mais il ruine son argument en plaçant le cadre avant la connaissance préalable. Ça donne à peu près ceci : le violeur peut ne pas agresser la fille dans un cadre peu propice en lequel il ne voudra pas voir son méfait interrompu. Il cherchera simplement, parce qu'il veut à tout prix la saillir, trouver le bon cadre pour son dessein. Pourquoi ? C'est simple : parce que le violeur EST un violeur.

C'est pourquoi le fédéralisme, en lui-même, n'a jamais empêché les velléités sécessionnistes. Il n'en a nulle part réduit la violence quand par hasard, elles se sont exprimées. C'est-à-dire qu'elles ont trouvé un cadre propice. Et il n'a pas plus pourvu de dialogue ; parce que, de façon intrinsèque, séparatistes et États agressés ne se connaissent pas davantage que la jeune fille ne connaît le mauvais garçon qui veut la violer. Intuiti naturae ennemis, ils ne se fréquentent pas. Ils n'ont rien à se dire.

Ça impose le premier fondement du dialogue : être celui qui peut dialoguer. Le mot-clé ici est être. Synonyme : exister, avoir la nature de… Et là, vous comprenez pourquoi, spontanément, ceux militant pour le dialogue ne s'adressent, de fait, qu'à l'État camerounais. Ils ne peuvent s'adresser, dans le conflit dont ils souhaitent la fin, à nul autre. Au-delà des constructions plus ou moins intellectuellement structurées qu'ils proposent, leur bon sens leur dit qu'en face, il n'y a pas la nature-là. Seul l'État l'a.

S'ils étaient logiques, (ils sont en fait tous et toujours de mauvaise foi), ils admettraient être en train de demander à l'État de violer sa loi fondamentale, au Président de trahir son serment, à l'Armée de déserter de sa mission. Et qu'ils seraient en train de militer pour la partition du pays ; crime (pas simplement délit) passible de la peine de mort dans le nouveau code de procédure pénale lu, revu et corrigé par un certain pape du droit, coupable lui-même de tous leurs forfaits et fortement suspect d'inimitié à la Patrie.

Mais venons-en, dans la problématique du NOSO, à ces fondamentaux. Pour celui de la connaissance préalable, l'État qui ne connaît pas les séparatistes et n'a rien à leur dire, par contre, connaît les populations du NOSO dans lesquelles le séparatisme sévit. Est-ce à dire que ces populations seraient les séparatistes ou que les séparatistes les représenteraient ? Ceux qui, comme Dieudonné Essomba, en arrivent à cette conclusion, m'ont souvent épaté par l'incongruité de leur raisonnement.

Faisons du syllogisme. Comment savons-nous que Boko Haram, (qui en fait est un agresseur), ne représente pas nos populations d'Extrême-Nord ? Simplement parce qu'il les agresse ! Et comment les savons-nous agressées ? En comptant simplement les morts et visualisant les dégâts. Pourquoi appliquer raisonnement similaire au NOSO devient-il subitement plus compliqué ? Manque-t-il d'informations pour savoir que les séparatistes maltraitent les populations du NOSO et qu'elles ont fui, par centaines de milliers, chez-nous, pour leur protection ?

Quelqu'un objecterait: il y a tout de même une différence. Les nôtres d'Extrême-Nord ont réagi civiquement et aident les FDS à éradiquer la menace. Celles du NOSO semblent lui être complices. Raisonnement aussi taré que celui qui le tient. Si les populations du NOSO étaient complices de ces bourreaux, compteriez-vous les coups de couteau dans le dos de nos soldats ? Ils vivent là-bas, parmi elles. Mais alors, quoi explique cette tergiversation qui laisse croire la menace plus solide ?

La base de recrutement de notre séparatisme a pu, à sa structuration, être idéologique. Elle a cessé de l'être pour devenir économique. Le conflit a déstabilisé les viviers agricoles et urbains, réduisant les jeunes au chômage et à la pauvreté. Ils deviennent les recrues idéales du crime organisé installé là-bas. Il s'est ainsi constitué des regroupements de banditisme de grand chemin, saupoudré du verbiage militant qui sert de couverture à cette malfaisance.

Les populations sont des entités sociales. Elles réagissent in situ aux menaces, à partir des repères historiques et sociaux. Celles d'ici peuvent ne pas avoir la même attitude que celles de là-bas. Surtout si, de la manière dont la menace s'exprime, elle s'imprègne d'une façon spécifique dans leur corpus vivendi. Prenez l'incident de Buea où est morte la petite fille. La réaction émotive de la population est compréhensible : aucune enfant ne devrait mourir de la sorte.

Mais au-delà de l'émotion et du lynchage à quoi elle a donné lieu, observez l'attitude de la foule : elle est allée chez son Gouverneur. Elle s'est plainte. Elle l'a écouté. Elle s'est calmée parce qu'il l'a ordonné. Ce n'est pas une réaction incivique : bien au contraire. L'Armée, sur le front, possède l'information des positions de séparatistes. De qui croyez-vous qu'elle les tient ? D'autant plus que ceux qui pourvoient le renseignement le font à grand danger. Le sort des black legs n'est guère très enviable là-bas.

L'État connaît donc cette population. Il sait - et dit - qu'elle n'est pas le séparatisme. Elle-même ne s'est jamais dite séparatiste : ni par ses élus, ni par ses autorités traditionnelles, ni par son élite administrative, religieuse, civile ou intellectuelle.

Les séparatistes eux-mêmes s'assument pour ce qu'ils sont et ce qu'ils veulent. D'où vient la jonglerie rhétorique qui veut faire passer les uns pour les autres et intime des injonctions fondées sur un absurde raisonnement qui ne s'appuie ni sur la logique, ni sur l'observation, ni sur les déclamations ? Peut-être du droit d'avoir un clavier Facebook… Il paraît que ça rend intelligent…"