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Opinions of Sunday, 4 September 2016

Auteur: Journalducameroun.com/mongabay.com et The Oakland Institute

Pourquoi le gouvernement a validé le projet d’Herakles Farms ?

Projet d’Herakles Farms Projet d’Herakles Farms

Les décrets présidentiels signés en novembre 2013 en faveur de l’américain Herakles Farms, pour développer une palmeraie de plusieurs milliers d’hectares dans la région du Sud-Ouest - malgré de nombreux risques qui avaient déjà été présentés par des ONG et la société civile sur le projet - l’ont été sous le coup d’une pression exercée sur les chefs du gouvernement et de l’Etat camerounais par le gouvernement américain, révèle “The Oakland Institute”, dans un rapport publié mardi dernier, 30 août.

Dans “Backroom bullying, the role of the US government in the Herakles farms’ land grab in Cameroon”, le think tank américain exploite des cables diplomatiques transmis entre janvier et juin 2013 par l’ambassade des Etats-Unis au Cameroun - dirigée à cet époque par Robert P. Jackson - au département d’Etat américain, sur le projet Herakles farms qui a mobilisé d’importants officiels.

Le centre de recherche précise que les câbles ont été obtenus grâce au “Freedom of Information Act” (loi en vigueur aux Etats-Unis sur la liberté d’information).

Rappel des faits

Il y a trois ans - le 23 novembre 2013 - Sithe Global Sustainable Oils Cameroon (SG-SOC), filiale de l’agro-industriel américain Herakles Farms, obtenait l’autorisation formelle d’exploiter des terres dans la région du Sud-Ouest, afin d’y développer un vaste projet de plantations de palmiers à huile.

L’autorisation était matérialisée dans trois décrets signés par le président de la République du Cameroun, Paul Biya, pour une expérimentation probatoire de trois ans sur 19 843 hectares.

Un accord en demi-teinte pour l’agro-industriel qui, même s’il bénéficiait par là d’un accord du chef de l’Etat pour son projet, voyait son terrain considérablement réduit et un certain nombre d'acquis s'effriter.

Avant les décrets présidentiels de novembre 2013, l’agroindustriel avait bénéficié d’une convention signée avec le gouvernement camerounais pour l’exploitation d’une palmeraie de 73 086 hectares dans les départements du Ndian et du Kupe-Manengumba (dans le Sud-Ouest), avec un bail de 99 ans.

Le contenu des actes signés par Paul Biya, qui revoyait à la baisse ces données, fut largement influencé par les protestations des populations riveraines, des organisations de protection de l’environnement et de nombreuses organisations de la société civile qui eurent à dénoncer l’illégalité de la démarche d’Herakles Farms: l’attribution d’une superficie de plus de 50 hectares, ne pouvant être accordée que par décret présidentiel selon la législation camerounaise.

En 2010, Herakles avait commencé à installer des pépinières et à défricher la forêt vierge tropicale pour sa palmeraie. La plantation devait occuper une importante zone de biodiversité et mettre en péril les moyens de subsistance d’environ 45 000 personnes.

L’entreprise avait ignoré des décisions de justice lui intimant l’ordre de suspendre le projet pour qu’une étude d’impact environnemental soit menée afin de confirmer ou d’infirmer les risques. Herakles devait aussi, dans le cadre de ces décisions de justice, négocier un protocole d’accord avec les populations locales pour indemniser toutes les personnes touchées par les plantations.

Mais un peu plus de trois ans plus tard, le président camerounais devait accorder à Herakles la légalité discutée sur ses plantations, malgré les nombreuses plaintes.

“Il a été choquant de voir le président Paul Biya signer les décrets en dépit de l’évidence sur les conséquences sociales, économiques et environnementales du projet”, a déploré Frédéric Mousseau, directeur des politiques au Oakland Institute, dans un communiqué publié à la sortie du rapport.

“Nous savons maintenant, qu’en coulisses, des officiels du gouvernement américain exerçaient une forte pression sur le gouvernement camerounais pour accorder la terre à Herakled Farms”, a ajouté Frédéric Mousseau.

Ce que disent les câbles diplomatiques

En mai 2013, Cynthia Akuetteh, qui officiait en qualité de sous-secrétaire d’État aux affaires africaines - elle est aujourd’hui ambassadrice des Etats-Unis au Gabon et à São Tomé-et-Príncipe - avait eu au moins trois entretiens au Cameroun avec le Premier ministre (Philémon Yang), le chef d’Etat (Paul Biya), et des membres du gouvernement pour mettre un terme au différend avec Herakles.

Dans un câble émis le 31 mai 2013, l’ambassade des Etats-Unis au Cameroun écrit: “Akuetteh a exhorté le Premier ministre à prendre une décision et des mesures pour régler le différend.

Elle a dit à [Philémon] Yang que les États-Unis ne veulent pas dicter au Cameroun la décision à prendre, mais que le pays devrait agir rapidement et éviter un arbitrage judiciaire ou de longues procédures.

Elle a averti de ce que l'incapacité à agir pourrait entraîner une incertitude sur le climat des affaires dans le pays et provoquer un effet dissuasif sur de futurs investissements étrangers …”

Quelques jours plus tôt, le 24 mai 2013, l’ambassade des Etats-Unis au Cameroun avait relaté:

“Akuetteh a dit que nous espérions que le gouvernement pourrait résoudre le différend avec le producteur d’huile de palme Herakles Farms. [Paul] Biya a répondu que les organisations non gouvernementales sont farouchement opposées à ce projet …”

Six mois après ce câble, le président de la République devait néanmoins accorder la terre à Herakles Farm, avec une révision de la quantité voulue (19 843 hectares au lieu de 73 086 hectares attendus), et de la durée désirée (bail probatoire de trois ans au lieu de 99 ans).

D’après les câbles consultés par l’Institut Oakland et publiés sur son site, les officiels américains étaient bien au courant de la “forte opposition locale au projet”, des impacts socioéconomiques et environnementaux.

Ces officiels ont cependant effectué le lobbying pour SG-SOC et Herakles Farms “en flagrante contradiction” avec la politique et les objectifs des Etats-Unis en matière de changements climatiques et de conservation de la nature, tel que présentés à travers les nombreux projets financés dans le bassin du Congo.

C’est notamment le cas avec le Programme régional pour l’environnement en Afrique centrale (CARPE), coordonné par l’Agence américaine pour le développement international (USAID).

Le gouvernement camerounais devrait étudier le renouvellement de la concession provisoire accordée à Herakles Farms au mois de novembre de cette année. Herakles Farms n’a pas véritablement évolué avec son projet sur le terrain et a préféré céder sa filiale, SG-SOC, à d’autres investisseurs.

"En exposant les méthodes douteuses du gouvernement américain, nous espérons que les autorités camerounaises se rangeront du côté du peuple et mettront un terme à ce projet qui demeure défavorable à la population et à l'économie du Cameroun", souhaite The Oakland Institute.