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Opinions of Friday, 20 October 2017

Auteur: Dieudonné ESSOMBA

La bureaucratie, la puissante arme de Paul Biya

La bureaucratie a toujours les moyens de bloquer n’importe quelle réforme La bureaucratie a toujours les moyens de bloquer n’importe quelle réforme

Certains individus, attardés idéologues de l’Etat postcolonial à structure pyramidale qu’ils travestissent dolosivement en Etat unitaire alors qu’il n’en a ni la nature, ni les missions ont tenté l’étrange entreprise de nous figer dans une sorte de crainte révérencielle de nature magico- religieuse en nous empêchant de parler du Cameroun :

« Non, si vous ne dites pas que le Cameroun est un et indivisible, vous n’êtes pas patriotes ! »

Ce grotesque chantage au patriotisme s’est souvent accompagné de menaces implicites, où nos positions sont présentées comme des menaces à la paix, à l’unité et un soutien aux sécessionnistes anglophones. Il faut leur dire clairement que nous ne sommes plus au temps du « Grand Camarade » et de la SEDOC, mais bel et bien en 2017 avec ses Whatsapp.

J’aime à rappeler que je suis un Economiste Camerounais, un Economiste authentique et un Camerounais authentique. J’ai le réflexe de l’ingénieur, du fonctionnaire et du consultant. Autrement dit, un homme de décision, qui a les pieds sur terre. Quand ce n’est pas applicable, quand on ne voit pas l’impact sur des objectifs concrets, ce n’est pas utile. Une analyse, aussi spirituelle soit-elle, qui ne pose pas le problème du Cameroun en termes d’emplois, de revenu, de routes, de salles de classe ne vaut absolument rien ! Si vous n’établissez pas le lien clair qu’il y a entre la forme de l’Etat et ses impacts sur le niveau de vie, la gouvernance, l’emploi, les infrastructures, les problèmes des anglophones et des autres communautés, vous n’êtes qu’un imposteur !

Et devant un débat sur la forme de l’Etat, je ne me préoccupe pas de la philosophie ou de l’idéologie. Je demande simplement : qu’apporte cette forme dans les problèmes du Cameroun ?

Et dans ma démarche, je soutiens l’Etat fédéral en l’articulant aux problèmes concrets du Cameroun : l’émancipation par rapport à l’extérieur, l’efficacité de la gouvernance, un meilleur adressage des problèmes, une régulation robuste des rapports intercommunautaires, une véritable démocratisation, un usage optimum des ressources, une répartition plus équitable des ressources publiques, etc.

Du concret, du réaliste et du bon sens, bien loin des récitations des publications des Blancs, des concepts mystérieux et des dogmes eschatologiques.

La question essentielle

Mais il reste une question lancinante : pourquoi, malgré son adoption en 1996 comme mesure médiane entre les fédéralistes et les unitaristes, la décentralisation à laquelle on nous appelle compulsivement maintenant n’a jamais pu être implantée ? Une simple observation montre que la décentralisation a été confiée à sa pire ennemie qui n’est ni le Chef de l’Etat, ni même son Gouvernement, mais la Bureaucratie Camerounaise, et notamment la Redoutable Corporation des Administrateurs Civils.

On ne pouvait pas attendre humainement que cette l’accélère et scie la branche sur laquelle elle est assise. Quelle incroyable idée d’attendre de l’administration territoriale, composée des administrateurs civils dont la décentralisation menace la corporation l’accélération d’un tel processus ! C’est hallucinant de naïveté ou de sadisme ! Vous voyez un administrateur civil, dont la vocation est d’être Sous-préfet, Préfet ou Gouverneur écrire noir sur blanc que les collectivités décentralisées ont déjà les capacités de se gérer, autrement dit, de dire au Gouvernement que maintenant, il est temps d’éliminer leurs postes ? Vous lui demandez simplement la mort de sa corporation, l’humainement l’impossible !

La démarche était fondamentalement viciée, par ignorance ou par sadisme. Et rien de bon ne pouvait en sortir, comme rien de bon n’en sortira jamais.

Mais diriez-vous, le Gouvernement pouvait passer outre ! C’est une méconnaissance de la manière dont fonctionne l’Etat. Un Ministre n’a pas pour vocation de traiter techniquement les dossiers, ni d’aller faire des enquêtes techniques sur le terrain. Il n’en a ni le temps, et souvent il n’en a pas l’expertise. Il ne peut donc décider que sur la base des rapports, des études et des recommandations que lui présentent ses collaborateurs, à savoir ses directeurs, mais aussi ses « chefs de terre ».

Lesquels, évidemment, n’écriront jamais que les communes et les régions sont devenues capables de bien se gérer même si on leur met un pistolet à la tempe.

Si les administrateurs civils se présentaient d’office comme les ennemis objectifs de la décentralisation en raison de la menace directe qu’elle fait peser sur l’existence de leur corps, ils ont été relayés par d’autres corporations, accrochés au privilège de gérer les ressources à partir de Yaoundé. Et c’est bien la haute administration qui a bloqué la décentralisation, à commencer par les collaborateurs des Ministres qui refusent les transferts prévus pour les communes ! C’est elle qui fait des rapports au Gouvernement et au Chef de l’Etat sur l’incapacité des mairies à gérer les ressources, sur l’impossibilité opérationnelle de mettre les Régions en place faute de compétences humaines. Ce qui signifie pour elle que la décentralisation est précipitée !

Cette situation conduit à poser le problème fondamental du rôle de la bureaucratie dans notre pays.

La puissance de la bureaucratie camerounaise

Notre bureaucratie est constituée de corps de métiers, autrement dit, des techniciens qui vont vous rappeler comment fonctionne leur discipline scientifique que vous ne connaissez pas! Quand vous êtes nommés Ministre de la Santé, vous y trouvez des médecins ! Vous allez leur imposer quoi, une autre manière de faire la médecine qu’ils connaissent mieux que vous ? Et vous allez enseigner aux enseignants la manière de tenir la craie ? Ou aux militaires comment gérer la guerre ? Ils vous informent de ce qu’ils font et vos obtempérez et vous marchez !

Et contrairement à l’image commune, la bureaucratie a toujours les moyens de bloquer n’importe quelle réforme. Sa puissance opérationnelle est supérieure à celle du Chef de l’Etat et le pays marche comme elle veut. Bien sûr que Biya peut démettre tel ou nommer tel, mais le pouvoir qu’il a de remplacer Pierre par Paul ne peut pas se transformer en la possibilité de transformer Judas en l’Ange Gabriel. Il est bien obligé de remplacer les éléments par d’autres éléments d’une même fratrie, tous accrochés avec la même puissance à leur projet d’hégémonie et à leurs avantages corporatistes.

Au niveau du Gouvernement, un Ministre ne peut rien faire quand la bureaucratie n’est pas d’accord avec lui ! Elle va saboter les dossiers, bloquer son action et entraîner son éviction ! Et chaque fois que l’un d’eux s’est attaqué à la Bureaucratie de son Ministère, il est tombé et les bureaucrates sont restés, plus triomphants que jamais !

Quand Inoni est nommé Premier Ministre, il engage les inspections des Ministères dès 7h 30 mn, pour s’assurer que les fonctionnaires respectent les horaires ! Mais les gens riaient en disant : « Quel est ce petit rigolo ! Pourvu que ça dure ! » Et on voit bien là où est Inoni, alors que la Bureaucratie est toujours là, inaltérable, comme s’il n’y avait jamais rien eu !

L’impossibilité de contrôler la bureaucratie

A cette redoutable puissance s’ajoute l’incapacité d’assurer le contrôle de cette bureaucratie.

Quand on se retrouve à gérer 350.000 personnes éparpillées dans la République avec un seul centre et une seule autorité décisionnelle, c’est totalement ingérable ! Le suivi des carrières individuelles, l’évaluation des capacités réelles, l’établissement des sanctions, l’identification des goulots d’étranglement restent impossibles. Les agents publics s’épuisent à suivre leurs dossiers de carrière au cours d’un interminable processus particulièrement lourd et paperassier !

C’est trop grand notamment pour un pays qui manque de moyens techniques. Et quand à cela, on ajoute les réseaux tribaux, religieux, sectaires, d’argent, vous pouvez gérer une telle bureaucratie comment ?

Un tel système ne peut que conduire à la thrombose ! Le Cameroun est incapable de vous dire le nombre exact de ses fonctionnaires, le volume réel des salaires qu’il verse ! Il ne peut pas vous dire comment sont déployés ses effectifs ! Il y a des gens qui sont partis en Europe depuis 10 ans et qui émargent toujours dans les Caisses de l’Etat, des gens qui touchent le salaire des morts, des fonctionnaires fictifs, sans compter des morts qui sont nommés…

La seule réforme

Le développement d’un pays ne se réduit pas au Chef de l’Etat ! C’est aussi l’administration, les populations, le secteur privé, les intellectuels, etc. La situation actuelle des USA, de la France, de l’Allemagne ou du Japon, n’est pas uniquement liée à des dirigeants exceptionnels, mais à des systèmes sociopolitiques et socioéconomiques très structurés capables de fonctionner avec un Chef d’Etat moyen.

Et le premier instrument de développement d’un pays est sa bureaucratie. A maintes reprises, le Gouvernement a tenté de réformer la nôtre, mais n’a jamais réussi. Pourquoi est-il si difficile de réformer la bureaucratie ? Simplement parce que vous devez utiliser la bureaucratie pour discipliner la bureaucratie dans le sens qu’elle ne veut pas ! Et elle n’acceptera pas la réduction de son pouvoir ! Elle se cabre et bloque le processus ! Et vous ne pouvez rien, car vous n’avez pas d’autres instruments !

Or, il n’existe aucune possibilité d’engager le moindre développement au Cameroun si on ne démantèle pas cette monstrueuse structure protéiforme totalement incontrôlable appelée Fonction Publique du Cameroun. C’est un impératif de développement. Un pays fonctionne bien avec des structures légères, agiles, spécialisés, faciles à contrôler !

La seule solution est la fédération qui casse structurellement la bureaucratie et l’éclate et segments autonomes et plus facilement contrôlables ! Il faut absolument plusieurs Fonctions Publiques, une pour l’Etat, une pour chaque Etat fédéré et une pour les Cantons et les Communes. Cela donne plusieurs Fonctions Publiques légères, faciles à encadrer !

Un Etat Fédéral allégé, formé de 50.000 hauts fonctionnaires compétents à quoi s’ajoutent les militaires, faciles à contrôler et évaluer, limité lui-même à des missions précises hautement stratégiques, à côté des Etats fédérés à qui sont conférées les missions intermédiaires, gérant chacun 10.000 Fonctionnaires en moyenne, et des Communes, chacune gérant en moyenne 200 Fonctionnaires, voilà un système souple, agile, léger et efficace !

Toutes ces Fonctions Publiques autonomes seront encadrées par un Conseil Général de l’Emploi Public qui édicte des règles et des dispositions-cadres qu’on devra suivre. C’est d’ailleurs cela qu’ont compris tous les Etats développés dans le monde, qui sont soit fédéraux en droit, soit fédéraux de facto !