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Opinions of Lundi, 8 Octobre 2018

Auteur: Maria Malagardis

Election 2018: l'après Biya se prépare déjà

Le dirigeant de 85 ans ne laisse aucun espace à ses concurrents Le dirigeant de 85 ans ne laisse aucun espace à ses concurrents

C’est à la lisière de Yaoundé, la capitale du Cameroun, que se trouve l’immense palais du Président. De loin, on dirait un gigantesque mausolée blanc perdu dans la brume tropicale. Agé de 85 ans, l’actuel occupant de cette curieuse tour d’ivoire s’en absente souvent pour séjourner à l’hôtel Intercontinental de Genève, dans la suite qu’il occupe une partie de l’année. Ces jours-ci, Paul Biya, au pouvoir depuis trente-six ans, se trouve pourtant bien au palais d’Etoudi : il se représente dimanche à l’élection présidentielle, pour un septième mandat consécutif, face à huit candidats. Malgré un bilan peu convaincant, nul ne doute de l’issue de ce scrutin à un seul tour, supervisé par une commission électorale verrouillée par le régime. Sa victoire semble même tellement acquise que début août, l’ambassadeur de France sur place lui transmettait une invitation pour le sommet de la Paix prévu à Paris du 12 au 14 novembre. Comme si l’élection qui devait se dérouler dans l’intervalle n’était qu’un exercice de façade. La campagne électorale n’en reste pas moins réelle.

Depuis une dizaine de jours, les affiches à l’effigie du Président ont ainsi recouvert le moindre mètre carré de mur disponible. Avec un slogan, «La force de l’expérience», maladroitement traduit en anglais, dans ce pays bilingue qui compte 20 % d’anglophones, par un curieux «The Force of Experience». Pour le reste, le Président est, comme d’habitude, plutôt invisible. Pendant cette courte campagne électorale, il n’aura animé qu’un seul meeting, le 29 septembre à Maroua, dans la province de l’Extrême-Nord. Une région majoritairement musulmane, depuis longtemps négligée et misérable. Mais qui a également basculé, depuis quasiment dix ans, dans un trou noir sécuritaire, à la suite des incursions répétées et sanglantes de jihadistes venus du Nigeria voisin et liés à la secte Boko Haram.

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Inexorable déclin

Biya effectuait sa première visite officielle en province depuis six ans. Mais il ne s’est pas attardé pour autant : à peine plus de sept minutes de discours, au cours duquel il énumérera d’une voix chevrotante une longue liste de promesses. Avant de repartir aussitôt dans son jet privé, avec Chantal, son épouse de quarante ans sa cadette, réputée pour ses audaces capillaires. «Quelles promesses peut-il faire de toute façon, alors qu’il n’a rien fait depuis trente-six ans et qu’il se trouve désormais au crépuscule de sa vie ?», s’indigne l’universitaire Achille Mbembe. Cet essayiste camerounais a quitté son pays natal il y a plus de trente ans. Mais il y revient régulièrement, comme ce fut le cas en avril. Avec, à chaque fois, le sentiment déprimant d’assister à un inexorable déclin. «On n’insistera jamais assez sur le bilan désastreux de Paul Biya, souligne Mbembe. J’ai grandi dans un pays doté d’un vrai système de santé, avec de bonnes écoles, une classe moyenne émergente. Aujourd’hui tout ça est à terre. On ne voit qu’appauvrissement généralisé, la classe moyenne est réduite à la survie. Quant aux infrastructures, elles sont en totale déliquescence, faute d’entretien. On ne répare même plus les routes. Et Biya, lui, reste invisible, il s’en fout.»

L’universitaire s’avoue encore plus effrayé par le déclin moral dans lequel Biya a plongé son pays : «Pour faire renouveler mon passeport, il m’a fallu passer par une quinzaine d’intermédiaires qui tous réclamaient leur petit billet. Biya a démocratisé la ponction à tous les étages. Et du coup, tous ces fonctionnaires corrompus sont les garants d’un système, qui leur donne une toute petite part de pouvoir. Ils n’ont pas forcément intérêt à ce que ça change.»

Entourage en otage

Lorsqu’il arrive au pouvoir en 1982, coopté par son prédécesseur Amadou Ahidjo, premier président post-indépendance, personne n’aurait parié une noix de kola sur la longévité de Paul Biya, haut fonctionnaire sans envergure et orateur médiocre. Mais Biya va vite prouver qu’«il est tout sauf faible», comme le rappelle (1)le journaliste spécialiste de l’Afrique, Antoine Glaser, qui considère Biya comme «le plus insaisissable des chefs d’Etats africains». Et rapporte ce propos attribué à Jacques Chirac au sujet du président camerounais :«Comment fait-il pour diriger depuis si longtemps un pays si complexe, en s’y consacrant aussi peu ?»

De fait, Biya survivra à une tentative de putsch en 1984, puis à toutes les vagues de contestations politiques et sociales qui se sont succédé de 1991 à 2008, date de la dernière grande révolte populaire, férocement réprimée. Mais le président tient également son propre entourage en otage, n’hésitant pas à envoyer en prison ses plus fidèles alliés, une fois tombés en disgrâce, sous l’accusation bien commode de «corruption». «Ses proches, ses ministres, sont tous ses créatures. Aucun n’a de base populaire, ils doivent tout au chef et redoutent sans cesse de perdre ses faveurs», note le journaliste Jean Bosco Talla, depuis Yaoundé. La stratégie semble payante : aujourd’hui, Paul Biya est l’un des plus anciens chefs d’Etat en exercice en Afrique, juste après l’Equato-Guinéen Teodoro Obiang, et le troisième président le plus âgé au monde. Dans un pays où 75 % de la population a moins de trente ans et n’a connu que Biya au pouvoir. Longtemps, ce prince indétrônable a pu en outre se targuer de préserver la stabilité d’un pays, fréquemment appelé «l’Afrique en miniature», sahélien au nord, tropical au sud. Face à la montée du péril jihadiste, il a bénéficié du soutien actif des Etats-Unis, et celui, jamais démenti… de la France.

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Mais désormais, rien ne va plus au Cameroun. Certes, Paris continue à se taire, au risque de «renforcer un sentiment antifrançais dans un pays où la mémoire de la guerre de l’indépendance reste vive», s’inquiétait cette semaine l’ONG International Crisis Group. L’Union européenne n’est guère plus prolixe, renonçant sans protester à envoyer des observateurs à l’élection de dimanche. Néanmoins, l’ambassadeur des Etats-Unis sur place a récemment brisé ce silence tacite, en dénonçant une dérive sécuritaire inquiétante. Car pour la première fois, une élection se déroule alors que l’armée est déployée dans trois régions du pays. L’Extrême-Nord musulman soumis aux attaques de Boko Haram, mais aussi les deux provinces anglophones qui ont progressivement basculé, depuis fin 2016, dans une guérilla sanglante opposant mouvements sécessionnistes et forces armées.

C’est peu dire que la ligne dure imposée par Biya n’a fait que radicaliser le conflit. A la veille du scrutin, les habitants fuient en masse les régions du sud-ouest et du nord-ouest, où les indépendantistes ont menacé de perturber l’ élection. Au nord comme à l’ouest, la répression aveugle des forces armées a aussi rappelé à tous les Camerounais combien ils sont sous le joug d’un régime prêt à tout pour se maintenir au pouvoir. Est-ce pour cette raison que cette campagne électorale a soudain réveillé les consciences ?

Dépouillement contrôlé

Alors que, depuis des années, l’opposition elle-même semblait discréditée, l’apparition dans cette course électorale d’adversaires novices en politique a suscité un engouement inattendu. Leurs meetings attirent des foules immenses, tandis que ceux du parti au pouvoir résistent mal au soupçon de recruter des sympathisants grâce à l’appât du «sandwich sardines» selon la formule consacrée. Postée cette semaine sur les réseaux sociaux, une vidéo montrait justement des jeunes furieux de ne pas avoir reçu l’argent promis en échange de leur présence aux meetings du parti au pouvoir. «Le régime craque de partout. La commission électorale avait annoncé l’interdiction des portables dans les bureaux de vote, avant de se rétracter face au tollé général. Cette fois-ci, l’opposition va pouvoir contrôler le dépouillement», se réjouit un artiste camerounais de passage à Paris. «Si les élections pouvaient être transparentes, Biya serait balayé», renchérit un entrepreneur de Douala, la capitale économique, joint au téléphone.

Mais malgré le charisme indéniable de certains opposants, comme Maurice Kamto, ex-ministre en rupture de ban depuis 2011 ou Cabral Libii, jeune outsider de 38 ans, malgré l’expérience d’Akere Muna, bâtonnier et juriste international, et en dépit de la machine militante dont dispose Joshua Osih, héritier de l’éternel concurrent de Biya, John Fru Ndi… les adversaires du Président se rendent aux urnes en ordre dispersé. Ce qui ne leur laisse guère de chances dans une élection à un tour.

Ce n’est pas le seul obstacle : «Ces mobilisations spectaculaires rassemblent-elles vraiment des électeurs potentiels ?» interroge Jean Bosco Talla, rappelant que «la mobilisation a été tardive, alors que beaucoup de jeunes avaient déjà renoncé à s’inscrire sur les listes électorales». Avec pourtant 12 millions d’électeurs en âge de voter, seuls 6,5 millions sont inscrits pour ce scrutin. Bien plus, «Biya a bien joué»,constate Talla. «Il a d’abord fait en sorte que, dans une élection une fois de plus gangrenée par le facteur ethnique et régional, il n’y ait aucun leader de l’opposition issu du nord. Or cette vaste région rassemble plus de 2 millions d’électeurs peu politisés. Et Biya peut aussi compter pour les mêmes raisons sur le vote des zones rurales», ajoute le journaliste.
Annonce de l’Après Biya

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Enfin, en inversant le calendrier électoral et en retardant d’un an les élections législatives et municipales, Biya renforce la compétition entre les nouveaux leaders de l’opposition, dont personne ne connaît le poids réel. «Même s’ils ne le disent pas ouvertement, les challengers de Biya ne croient pas à leur victoire dimanche, et songent déjà au match suivant : celui des élections locales», analyse Talla. Reste un sujet tabou, celui de l’âge du capitaine. Au Cameroun, tout le monde sait, ou du moins est persuadé, que Biya est très malade. Même au sein du pouvoir, certains ont suggéré - à demi-mot - qu’il ne terminera pas ce nouveau mandat. «En réalité, pour la première fois, ces élections annoncent déjà l’après Biya. C’est ce que tout le monde a en tête», confirme Jean Bosco Talla. Que se passera-t-il après ? Sans même un dauphin désigné, c’est peut-être encore la meilleure carte de Biya : «Après moi, le chaos.»