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Actualités Régionales of Tuesday, 26 September 2023

Source: L'oeil du Sahel

Cameroun : un préfet fait enfermer un chef traditionnel et ses sujets

"Libérez notre majesté Nganni Janvier !» «Papa Paul, viens-nous en aide"

«Libérez notre majesté Nganni Janvier !» «Papa Paul, viens-nous en aide. Nous voulons la paix à Nyamboya ». Ces messages sont écrits sur des pancartes le 17 septembre 2023 à Nyamboya. La population de ce canton à l’entrée de l’arrondissement de Bankim, département du Mayo-Banyo, région de l’Adamaoua, a tenu à exprimer sa colère, en sortant en masse. Le mobile de ce soulèvement est que : «Le jeudi, 14 septembre 2023, le commandant de brigade de Bankim est venu remettre deux convocations pour les deux chefs qui sont convoqués à la préfecture de Banyo, le vendredi matin, 15 septembre 2023. Le commandant a d’abord remis la convocation à Nganni qui est à la chefferie et ensuite, à Nchia qui est dans son domicile privé. Le lendemain, Nganni prend la décision de partir à Banyo, déférer la convocation du préfet, mais son frère aîné Nchia ne part pas. Une fois à Banyo, le préfet a instruit le commandant de compagnie de servir une garde à vue administrative de 15 jours, multipliée par deux. Le préfet s’est montré intransigeant et ferme, sans même chercher à écouter qui que ce soit», relate un notable.

«Quand la population apprend qu’on a gardé son chef Nganni Janvier, elle s’est donc soulevée ; elle peine à comprendre pourquoi le chef part déférer à la convocation et est gardé à vue sur ordre du préfet, tandis que l’autre qui a aussi été convoqué et n’est pas parti, n’est même pas inquiété. En tout cas, la population a donc décidé de maintenir Nchia Basile prisonnier public à Nyamboya, durant la période de détention de Nganni Janvier à Banyo», poursuit-il. Le préfet Charles Gall que nous avons joint, n’a manifestement pas souhaité s’exprimer sur cette affaire. Mais à en croire les sources proches du dossier, la décision du préfet de placer en garde-à-vue administrative, pour une durée de 30 jours, le nommé Nganni Janvier, a pour motifs : troubles graves à l’ordre public, incitation à la révolte en masse des populations de Nyamboya, rébellion, usurpation de titre et atteinte aux institutions de la République. Cette décision, à s’en tenir par exemple au motif d’usurpation de titre, s’appuie sur l’arrêté préfectoral du 10 mai 2010, signé du préfet de l’époque Mbu Peter, qui précise : «Est homologuée à compter du 11 janvier 2010, la désignation faite selon la procédure réglementaire, de monsieur Nchia, en qualité de chef de 3e degré du village Nyamboya (4 000 habitants environ), arrondissement de Bankim, département du Mayo-Banyo, en remplacement de M. Nganni Janvier, démissionnaire». Cet arrêté reconnaît donc Nchia Basile comme chef de 3e degré de Nyamboya depuis le 10 mai 2010.

ABSENTÉISME PROLONGÉ DU CHEF ?

Sauf que, pour la population, Nchia Basile n’a jamais assumé son rôle de chef. «Ce qui se passe à Nyamboya, est une situation de gestion de la chefferie. Traditionnellement, la chefferie a son chef, Nganni Janvier ; il avait eu des problèmes avec les Peulhs entre 2007 et 2009, mais il n’avait pas été chassé par la population. Son aîné Nchia Basile était en service à Bafoussam, à la Camtel quand il y a eu troubles au village. Nganni lui a demandé de revenir assumer l’intérim pendant ce moment de trouble. Maintenant, avec ses moyens, Nchia Basile a corrompu les notables qui sont d’ailleurs tous morts à ce jour. Nchia Basile a fait au moins 11 ans et six mois sans mettre pied dans la chefferie. Néanmoins, à l’époque où Mbu Peter était préfet du Mayo-Banyo, Nchia Basile a obtenu un arrêté. Et la population a commencé à lui demander quand est-ce qu’il intègre la chefferie, il ne faisait qu’arguer qu’il faut attendre, car il est encore en fonction à la Camtel. En 2019, la population avait déjà marre de voir la chefferie être envahie par la broussaille, les serpents y sortant et toutes les tôles de cuisines vendues. La jeunesse s’est donc soulevée. Elle lui a imposé d’assumer sa fonction ou alors on intronise quelqu’un d’autre chef. C’est comme ça que Nchia Basile dit devant tout le monde, devant le patriarche Zacharie Ngniman, que si à la prochaine fête de Noël et Nouvel an, il n’est pas en poste, qu’on intronise une autre personne. Ces échéances passées, Nchia Basile n’ayant pas tenu parole, ces jeunes se sont à nouveau révoltés en février 2020. Ils ont refait appel à son petit frère Nganni Janvier, qui était chauffeur, de revenir prendre le pouvoir. Cette décision n’a pas plu à Nchia Basile qui s’est rattaché aux Peulhs pour commencer à faire le bras de fer. En passant, Nchia n’a aucun Kwandja dans son entourage, il est rattaché aux Peulhs», explique un notable de la chefferie de Nyamboya. En tout cas, depuis le 15 septembre 2023, Nganni Janvier passe pour être «le prisonnier du préfet » Charles Gall quand Nchia Basile a furtivement été le «prisonnier de la population». Sous l’effet de cette pression populaire, et sans doute contre sa volonté, Nchia Basile a dû prendre un engagement écrit le 17 septembre 2023. Il dit «devoir faire en sorte que le nommé Nganni Janvier détenu à la prison de Banyo soit libre…ce dernier étant en prison sous l’effet de plainte. Je veux vivre à Nyamboya comme un simple habitant. Etant sorti de la prison, je m’engage en sorte que Nganni Janvier soit libre d’exercer ses droits à la chefferie de Nyamboya. Cet engagement est fait en présence de toute la population de Nyamboya, par gré». Aussitôt après l’engagement pris, apprend-on, Nchia Basile a été libéré par la population. Un calme relatif a régné dans le village et Nchia Basile, selon des sources locales, a jugé utile de quitter le sol de Nyamboya avec sa famille, à destination de Bafoussam où il fut en fonction. «La sous-préfecture de Bankim a envoyé sceller la chefferie, mais, dès qu’ils ont tourné le dos, la porte s’est ouverte seule et la population s’est calmée pour voir ce qui va arriver», susurre un notable. Mais la tension est manifestement remontée à l’aube du 21 septembre dernier, au moins 17 personnes de Nyamboya ayant été raflées par des éléments des forces de l’ordre. Une action qui a eu le don de refroidir la fougue de la population actuellement tétanisée. Ces 17 personnes ont été écrouées à la prison de Banyo, rejoignant leur «chef», le nommé Nganni Janvier détenu depuis le 15 septembre 2023.