Quand les citoyens ordinaires sont arrêtés, accusés de terrorisme et présentés devant l'un des tribunaux militaires siégeant à Yaoundé, Douala, Buéa, Bafoussam, Garoua ou tout autre endroit, pour avoir manifesté publiquement leur mécontentement contre le régime Biya ou d'avoir comploté pour renverser Paul Biya ou pour simple suspicion de connivence avec les bandits ou terroristes, ils sont en fait jetés dans la gueule des loups que sont les magistrats et personnels militaires corrompus et détourneurs des fonds de l'État. Leurs procès sont souvent des parodies de procès aboutissants à de nombreux jugements arbitraires.
En février 2013, était écroué à la prison de Yaoundé-Kondengui monsieur Mbia Onguéné Emmanuel, ancien trésorier payeur général (TPG) de Yaoundé, coupable d'avoir permis le paiement des frais et émoluments exorbitants (de l'ordre de 6 milliards francs CFA) aux militaires dans le cadre des audiences foraines du tribunal militaire de Yaoundé compétent dans les provinces du Centre, Sud et Est. Mbia Onguéné et ces militaires se servaient de la rubrique «taxe à témoins» pour frauduleusement décaisser des sommes dans les caisses de l'État, dont les montants à ce jour restent indéterminés.
Du fait des difficultés éprouvées par la Justice militaire pour faire comparaitre les parties au procès, elle utilise la taxe à témoin. Celle-ci permet aux magistrats militaires de convoquer toute personne capable de témoigner sur une procédure militaire. Le hic de tout ceci c'est que le nombre de témoins à convoquer reste indéterminé et à la grande confidentialité du magistrat militaire. Qui, seulement après les audiences foraines, dresse un procès-verbal acheminé à la trésorerie pour payement des émoluments et de ladite taxe.
Il apparaît que jusqu'à ce jour, la majorité des magistrats, greffiers et assesseurs militaires, y compris le ministre délégué à la présidence chargé de la défense (notamment l'ancien Mindef Alain Mebe Ngo'o), véritables bénéficiaires et ordonnateurs de ces taxes à témoin, n'ont jamais été inquiétés.
Le président de la République, saisi à plusieurs reprises au sujet de ces détournements des fonds publics par nos tribunaux militaires, n'a jamais ordonné des poursuites judiciaires contre les militaires délinquants, de sorte que le Tribunal Criminel Spécial (TCS) déclare attendre l'autorisation de la cour suprême pour engager les poursuites, une cour suprême qui, de son coté, attend l'ordre du chef de l'État.
A un moment, Paul Biya avait sorti une liste des magistrats que le chef d'État instruisait de rembourser au trésor public: colonel Mvondo Akoutou (directeur de la justice militaire actuellement en poste, imperturbable), Lt-colonel Assee Louis Marie, Capitaine Tafoutio, chef d'escadron Tchouta (retraité), capitaine Abou Jean. Ceux-là étaient présentés comme «les forces tranquilles qui siphonnent paisiblement les caisses de l’Etat s’appuyant sur les taxes à témoin» car «Nos magistrats militaires sont de véritables prédateurs du trésor public», d'après Alex Zambo du journal L'Épervier dans son édition du 29 février 2015.
Mais ces noms ne sont que du menu fretin, des boucs émissaires (sous la protection comme Mvondo Akoutou de la protection du chef d'Etat) présentés au public pour donner l'impression que Paul Biya combat cette véritable mafia installée dans les tribunaux militaires. Le public ignore tout simplement que Paul Biya a peur des officiers militaires depuis le push du 6 avril 1984 où les officiers de l'armée lui sauvèrent la vie et le réinstallèrent au pouvoir, et que sont règne est en réalité un régime militaire dirigé par des officiers dont le chef est un civil.
Quand ils se servent de la taxe à témoins pour voler l'argent des caisses du Trésor public avec la complicité des TPG, ces magistrats et personnels militaires utilisent de nombreuses rubriques sensées compenser financièrement la présence effective des témoins à l’audience militaire, notamment les frais de déplacement, de ration, d'hébergement et d’autres frais divers. Les magistrats des tribunaux militaires sont habiletés à produire ces états, qui sont ensuite acheminés aux trésoreries pour paiement en espèces sonnantes et trébuchantes par les TPG.
Que dit la loi et quelles en sont les lacunes?
Au sujet des droits et obligations des témoins, article 133 du code de procédure pénale, selon l'article 190 du code des procédures pénales, tout témoin a droit à une indemnité - communément appelée taxe à témoin - fixée conformément à la réglementation en vigueur. La taxe à témoin est prévue dans le cadre de l'information judiciaire.
S'applique-t-elle (profite-t-elle) également aux témoins qui comparaissent devant les juridictions de jugement? La législation camerounaise n'en dit pas mot, laissant ainsi aux magistrats avides du vol des fonds publics la possibilité d'exploiter cette faille. Car rien ne s'y oppose, à l'exclusion du prévenu qui dépose comme témoin.
L'article 134 n'a pas expressément protégé le témoin contre les injures, les diffamations et les menaces qui pourraient être dirigées contre lui en raison de sa comparution et de sa déposition. Ce qui reste au témoin comme protection c'est l'article 197 du code pénal punissant l'outrage ou le dommage à témoin, et aussi l'article 168(1) (a). Mais combien de témoins sont-ils informés et capables d'actionner à leur avantage ces protections judiciaires dans un système judiciaire camerounais aussi corrompu à tous les niveaux?
Mais cette indemnité, connue également sous l'emprise de l'ancienne législation, n'était pas payée depuis belle lurette, malgré ce qu'en dit l'Instruction interministérielle du 12 octobre 1989 sur les frais de justice. Nos tribunaux militaires sont, eux, en train d'exploiter frauduleusement cette manne financière.
Le système judiciaire du Cameroun, dangereusement corrompu à tous les niveaux, a conduit les résidents camerounais à instaurer la justice populaire dans nos rues, où des personnes suspectées de vol sol lapidées et brûlées publiquement, de même que les biens publics ou privés suspectés de desservir l'ordre social.
Quand les juges et le personnel des tribunaux volent dans les caisses de l'État, de tels juges ne peuvent pas impartialement rendre justice. Un tel système judiciaire est corrompu et conduit les populations qui n'y croient pas à instaurer le règne de la jungle.
Le Cameroun est actuellement un chaos dans le domaine judiciaire. Le régime de Paul Biya ne peut pas reformer cette pourriture qu'il a lui-même installée. Il faut s'attendre que les choses aillent du mal en pire, pire que l'insécurité que cette justice corrompue a encouragée avec la multiplication des gangs des braqueurs et de coupeurs de route à travers le pays, des feymen ou des commerçants des bébés et des organes humains, etc.