Au bout d’un mois marqué par un dialogue de sourds inédit en son sein, le Parlement (principalement l’Assemblée nationale) a clôturé mercredi dernier la session de novembre. Six lois, dont la loi de finances 2018, ont été adoptées dans la même routine que lors des années antérieures. A la commission des finances et du budget, à défaut d’être outillés et/ou pris de court par les délais de dépôt de cette loi, les députés ont servi les mêmes observations plates et les mêmes recommandations lisses aux ministres qui se sont soumis au « grand oral ».
Dans un an, on prendra les mêmes pour recommencer. Ainsi va la vie parlementaire au Cameroun. Machines à légiférer essentiellement sur les projets déposés par le pouvoir exécutif, les députés ne contrôlent que très timidement l’action du gouvernement. Installés le 25 mars 2015, le rapporteur des recettes, Luc Koa et les membres de l’équipe des rapporteurs spéciaux de l’Assemblée nationale, n’ont toujours pas pu mener à bien leur mission d’inspection dans les ministères. Après des clashs entre parlementaires et ministres, lesquels ont catégoriquement refusé d’ouvrir leurs livres de comptes, l’arbitrage de la présidence de la République a été requis. Celle-ci a instruit l’élaboration du cadre normatif devant guider les enquêtes des députés auprès des différents ministères. On ignore ce qu’il en est advenu.
Fragilisé par certains de ses membres qui écument les cabinets ministériels en quête de services divers, le Parlement camerounais aujourd’hui est devenu une marionnette dont le marionnettiste est le gouvernement. Quelques députés de la majorité et de l’opposition auront beau poser quelques questions orales embarrassantes, rien ne bouge fondamentalement. L’émasculation de ce contre-pouvoir, dont l’un des « contremaîtres » est Cavaye Yéguié Djibril, a la peau dure et ce n’est pas demain qu’il y aura une commission d’enquête parlementaire (la dernière remonte au cas Monchipou, il y a 17 ans) ou des pétitions contre le gouvernement.
Il n’est donc pas surprenant qu’un ministre se vante devant un camarade du parti, député réputé frondeur, en ces termes : « Que vaut un député devant un ministre ? ». Bien de choses sont sous-jacentes à cette question. En effet, au Cameroun, la légitimité par l’élection vaut peu de choses devant la légitimité par le décret. Un pied de nez à la démocratie qui s’applique crânement. L’une des incarnations les plus éclatantes de ce paradoxe camerounais, c’est le président du Sénat, Niat Njifenji, qui a été désigné sénateur par décret du chef de l’Etat, quelques jours après que d’autres sont allés à l’élection.
Derrière la boutade ministérielle susmentionnée se cache également une légitimité liée à la rente. Chez nous, le ministre gère sur l’année le budget de son département ministériel. Le député n’a que ses 8 millions de microprojets. Le ministre a le pouvoir de nominations et une marge de trafic d’influence plus consistante que celle des députés ou des sénateurs. A travers les marchés publics, le ministre peut changer des vies, y compris la sienne et celles des parlementaires. D’où la condescendance qui est le marqueur des relations entre ministres et parlementaires au Cameroun. Ces derniers, pour la plupart, rêvent de décrocher un maroquin de ministre.
Pour mieux tenir en laisse les parlementaires, le secrétariat général du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC) organise de temps à autre des concertations durant lesquelles des ministres viennent « professer » devant des députés, qui n’ont pas intérêt à les contredire, sous peine d’entrer en dissidence avec le parti, qui peut lui accorder ou lui refuser l’investiture à la prochaine élection. La boucle est ainsi bouclée.