Opinions of Monday, 9 October 2017

Auteur: cameroon-tribune.cm

Crise anglophone: ce que l’Histoire retient

Joseph LEJournaliste, président du Conseil d´administration de la SOPECAM­. Joseph LEJournaliste, président du Conseil d´administration de la SOPECAM­.

Un an déjà. C’est quasiment jour pour jour le temps que dure ce qui est communément appelé « crise anglophone ». Partie, très précisément le 10 octobre 2016, de simples revendications corporatistes, elle s’est rapidement transposée sur le champ politique par le fait de quelques compatriotes dont le dessein avoué n’est autre que la partition du Cameroun, pour les plus extrémistes, ou la révision de la forme actuelle de l’Etat, pour d’autres qui y voient une sorte de panacée aux problèmes posés.

Dans un contexte où la crise semble s’enliser et où des voix s’élèvent ici et là, évoquant désormais et à tout-va le dialogue comme thérapeutique de choc pour juguler un mal symptomatiquement cancéreux, la tentation est grande de remonter, pour l’histoire, le cours de ces derniers mois dont les jalons sont plus que révélateurs de ce que jusque-là, l’Etat et son Chef, le Président de la République Paul BIYA, ont su pleinement jouer leur partition en la matière.

Revisitons-les donc, cette histoire et cet agenda des douze derniers mois.
Aux premières pages, datées du mois de septembre 2016, sont bien inscrites des revendications corporatistes formulées par des Avocats d’expression anglaise, et quasi simultanément par des Enseignants, d’expression anglaise également. Le 10 octobre 2016, les premiers lancent un mouvement de grève. L’histoire révèle (simple coïncidence peut-être ?) que la grève des seconds devient aussi effective le même 10 octobre. Les desiderata des uns et des autres ne souffrent alors d’aucune ambiguïté.

En effet, en boycottant les prétoires dans les deux régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, ces avocats estiment que « la manière dont la justice est rendue dans ces régions n’est pas conforme avec la Common Law (le droit de tradition anglo-saxonne). Or, c´est ce droit-là qu’ils ont appris à l’école et pendant leur formation d’avocats », clament-ils alors. Quatre (04) principaux problèmes sont excipés: l’inexistence d’une version anglaise des Actes Uniformes OHADA, principaux documents utilisés dans les procédures à caractère commercial devant les juridictions camerounaises ; l’usage du Code Civil francophone dans les juridictions des régions anglophones en lieu et place de la Common Law ; l’absence du droit anglais dans le système judiciaire camerounais (pas de Section de la Common Law à la Cour Suprême pour examiner les recours en provenance des juridictions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, et pas de section anglophone à l’ENAM) ; l’exercice dans les deux régions anglophones du pays des magistrats ne comprenant ni la culture anglophone, ni la culture de la Common Law et s’exprimant bien mal en anglais !

Quid des enseignants alors ? L’histoire révèle aussi clairement que pour leur part, les réclamations portent essentiellement sur le paiement des arriérés de salaire pour l’année académique 2015-2016, par-delà les questions liées à l’amélioration des conditions de travail. On observe qu’ici, les étudiants se joignent à eux et exigent le versement de leurs primes d’excellence, mais aussi l’abandon du paiement des 10.000 FCFA de frais de pénalités institués par le recteur de l´université de Buea pour, apprendra-t-on, inciter à l’acquittement à temps des frais de scolarité.

A cela sont greffées quatre autres revendications. Elles portent sur la clarification et le respect des modalités d’admission des étudiants dans les Universités de tradition anglo-saxonne ; une meilleure représentation des Anglophones lors des recrutements aux postes d’enseignants et de personnels d’appui dans lesdites Universités ; la diminution du nombre, jugé élevé, des enseignants francophones dans les écoles en zone anglophone et la création d’une Ecole Normale Supérieure exclusivement réservée aux régions anglophones.
Historiquement, tels sont donc les faits déclencheurs de l’actuelle crise. Des faits pour lesquels, la sensibilité du Chef de l’Etat lui-même, a très vite été éprouvée. A ne s’en tenir qu’aux instructions fermes rapidement données au Gouvernement de prendre en urgence des mesures idoines pour répondre de manière efficiente aux revendications formulées.

L’histoire, encore elle, montre dans ses pages, que des réponses sectorielles et globales ont bien été apportées. Au bénéfice des Avocats, on relève, parmi les réponses les plus significatives :

1. La mise à disposition de la version officielle, en anglais, des Actes Uniformes OHADA et du Code Pénal Camerounais ;

2. La création à l’Ecole Nationale d´Administration et de Magistrature du Cameroun (ENAM) d’une Section Anglophone ;

3. La création d’une Chambre de la Common Law à la Cour Suprême du Cameroun, pour examiner de façon spécifique et méthodique les recours en provenance des juridictions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest ;

4. La création d’une Faculté des Sciences Juridiques et Politiques à l’Université de Buea ;

5. La création des Départements de English Law (Droit Anglais) dans les Universités de Douala, de Maroua, de N’Gaoundéré et de Dschang et des Départements de Droit Public dans les Universités de Bamenda et de Buea ;

6. Le recrutement et l’affectation des personnels judiciaires appropriés dans les Cours d’Appel du Nord-Ouest et du Sud-Ouest ;

7. La nomination par Décret présidentiel d’un Magistrat anglophone travaillant dans le cadre de la Common Law au poste de Président de la Chambre Judiciaire à la Cour Suprême ;

8. La nomination d’un Magistrat anglophone comme Procureur de la République près les tribunaux de première et de grande instance de Bamenda.

Aux revendications des enseignants anglophones, le Gouvernement a apporté des réponses tout aussi appropriées, selon les cas. On relève par exemple, concernant la représentation des Anglophones aux postes d’enseignants et de personnels d’appui des Universités d’Etat, que les membres du Comité interministériel mis en place pour l’occasion « ont constaté à l’unanimité que, jouissant de leur pleine autonomie administrative et financière, les Universités de Buea et de Bamenda recrutent prioritairement les enseignants et personnels d’appui ressortissants des deux régions anglophones, sans exclure les francophones méritants ».

Au sujet de la création d’une Ecole Normale Supérieure dédiée, le même comité note pertinemment qu’il ne saurait exister d’Ecole Normale Supérieure exclusivement réservée aux ressortissants d’une seule région ou de deux régions.

En rapport avec l’admission des étudiants dans les Universités de tradition anglo-saxonne, le Comité interministériel créé par le Gouvernement a fait le choix de la simplification : l’unique contrainte d’admission d’un étudiant est de remplir les conditions fixées par la règlementation en vigueur. Dans le même temps, les primes d´excellence ont été payées aux étudiants. De même que la pénalité de dix mille Francs CFA imposée aux étudiants en retard du paiement des frais de scolarité, a été supprimée.

Enfin, l’histoire situe en bonne place la décision du Chef de l’Etat de débloquer deux milliards de francs CFA au titre de la subvention aux établissements scolaires privés laïcs et confessionnels, de même que l’autorisation donnée pour le recrutement spécial de 1000 jeunes enseignants camerounais bilingues, diplômés de l’enseignement supérieur, en particulier dans les matières scientifiques et techniques. Des jeunes enseignants à affecter prioritairement dans les établissements scolaires des régions accusant un déficit important en personnel enseignant dans ces matières.

Au-delà de ces réponses spécifiques apportées par le Gouvernement aux problèmes corporatistes posés par des compatriotes anglophones, les pages de l’histoire ici revisitées dévoilent deux autres catégories de réponses à cette crise, celles-là plus globales, parce que touchant les champs politiques et institutionnels d’une part, et sécuritaires d’autre part. Au premier chapitre s’inscrivent ainsi :

1. La création, par Décret présidentiel, le 23 janvier 2017, de la Commission nationale pour la promotion du bilinguisme et du multiculturalisme. Matérialisation d’une des promesses du Chef de l’Etat dans son Message à la Nation le 31 décembre 2016. L’institution ainsi créée vient compléter le dispositif étatique visant à faire de tous les Camerounais des hommes et femmes bilingues et habités par la volonté de vivre ensemble. Elle traduit la vision politique qui fait du Cameroun un pays uni, indivisible et fier de sa diversité ;

2. La libération des avocats arrêtés, l’arrêt des poursuites judiciaires à l’encontre de l´Evêque de Bamenda et des Pasteurs de la Cameroon Baptist Convention dans l’affaire les opposant au Consortium des parents d’élèves des établissements missionnaires et l’arrêt des poursuites judiciaires à l’encontre des leaders anglophones Agbor Balla, Fontem, Ayah Paul et autres ;

3. L’intégration, la promotion et le redéploiement des magistrats sur l’ensemble du territoire, en tenant compte de leur maîtrise de la langue officielle la plus usitée dans les ressorts d’affectation, sans remettre en cause ni l’option irréversible de l’intégration nationale, ni l’évolution normale de la carrière des magistrats ;

4. La nomination de deux anglophones parmi les nouveaux officiers généraux de l’Armée Camerounaise : les Généraux de brigade Ekongwesse Divine et Agah Robinson ;

5. Le dialogue initié, dès le début de cette année, à travers les missions gouvernementales d’information et d’explication sur la « crise anglophone » déployées dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, auprès des Grandes Chancelleries Occidentales et auprès de la diaspora camerounaise ;

6. Des mesures diverses de restauration de la confiance et de maintien du dialogue, à l’instar du rétablissement de la connexion internet dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest ; connexion suspendue le 17 janvier 2017 afin de préserver la paix sociale et l’ordre public au plus fort de la crise.

Sur le plan sécuritaire, il apparait aussi qu’en tant que garant de l’ordre public et de la sécurité de tous ses citoyens, l’Etat a pris ses responsabilités afin que l’ordre public, la paix et la sécurité soient toujours maintenus dans ces deux régions, et sur toute l’étendue du territoire. C’est le sens des mesures gouvernementales d’interdiction des associations anglophones qui prônent la violence et la division (SCNC, Consortium et autres). C´est aussi le sens à donner au déploiement des forces de maintien de l’ordre.

En somme, les pages de l’histoire de la crise anglophone de ces douze derniers mois sont assez édifiantes et riches d’enseignements sur les réponses concrètes apportées par le Chef de l’Etat et le Gouvernement aux problèmes légitimement posés par nos compatriotes. Et ce, dans un esprit de dialogue et une démarche éprise de paix et de justice. Dans une pleine conscience de ce que le Cameroun est le produit d’un double héritage historique, culturel et linguistique francophone et anglophone. Dans une volonté sans faille de préserver ce patrimoine commun.

De fait, l’Etat, garant de l’ordre républicain, a naturellement pris le parti d’assumer, protéger et défendre cet héritage et cette identité. En temps de crise, comme en temps de paix, il demeure attaché aux vertus du « dialogue républicain, constructif et responsable ». Afin que demain soit transmis aux jeunes générations, un pays uni et prospère, en paix, stable et fier de son destin.

Tel est, en tout cas, le dessein du Président Paul BIYA pour le Cameroun. Et c’est ce qui est inscrit dans l’histoire de ces derniers mois.


Joseph LE
Journaliste principal hors échelle,
Président du Conseil d´administration
de la SOPECAM­­­