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Movies of Monday, 18 December 2017

Source: journalducameroun.com

Le cinéma camerounais va mal - Thierry Ntamack

Thierry Ntamack, lors du tournage du film 'La Patrie d'abord' Thierry Ntamack, lors du tournage du film 'La Patrie d'abord'

Nominé dans six catégories aux récents Trophées Francophones du Cinéma 2017, le cinéaste camerounais dresse un état des lieux du cinéma camerounais.

Vous avez été nominé dans six catégories aux Trophées Francophones du Cinéma tenus à Yaoundé. Quelles sont vos impressions?

Ça fait plaisir, c’est une belle reconnaissance pour tout le travail que mon équipe et moi abattons depuis huit ans. C’est un événement international et y être nominé est pour moi un honneur. Je dédie cette nomination à la paix entre anglophones et francophones de mon pays, au moment où il traverse un moment difficile. Je voudrais être un cinéaste engagé dans la mesure où je me sens utile pour le développement de la société.

Quel regard portez-vous sur les films qui étaient en compétition?

C’est de très beaux films qui traduisent bien la diversité et la richesse de l’espace francophone. Je ne suis particulièrement pas très porté sur les prix.

Comment se porte le cinéma camerounais selon vous?

Le marché se porte mal. Très mal. Regardez la qualité des films. Moche! Les salles de cinéma sont pratiquement fermées. La piraterie est ambiante, les droits d’auteurs ne fonctionnent quasiment pas. Il n’y a pas d’éléments de rentabilité. Ça va vraiment mal !

C’est pour cela qu’il faut une vraie politique culturelle, une réelle volonté politique de jeter un autre regard pour qu’on puisse désormais voir le cinéma comme une industrie. Si on ne le vise pas comme industrie, on sera réduit à des mendiants ou des clochards qui passent le temps à demander de l’aide. Et, actuellement, je ne pense que nous avons besoin d’aide. Nous avons juste besoin qu’on nous fasse confiance. Que l’on voit en nous des personnes qui peuvent rentabiliser le cinéma, qui vont créer une industrie, qui vont lutter contre le chômage. Et dans cet ordre d’idées nous avons besoin qu’on investisse sur nous, qu’on investisse dans ce secteur. C’est tout ce qui fait la différence entre le Nigeria et le Cameroun. Le regard que ce pays pose sur la culture n’est pas le même que nous avons sur la culture au Cameroun. Chez nous, la culture est relayée au second plan. On y pense quand on a fini avec tous nos problèmes. Nous ne bénéficions que d’une aide minime de l’Etat. Tant que l’on verra les choses sous cet angle, il n’y aura jamais de véritable évolution.

Que pensez-vous que l’Etat puisse faire pour améliorer la situation?

Si on voit le cinéma comme un élément de rentabilité réel, qui peut lutter contre le chômage, créer des valeurs, des emplois, alors les choses changent forcément. On peut, par exemple, adopter une loi dont j’ai toujours rêvé, une loi sur l’exonération d’impôts, cela encouragerait tous ceux qui veulent investir dans le cinéma, car il n’y a personne qui peut investir dans une affaire pour laquelle il n’est pas sûr de rentrer dans ses frais.

Le cinéma ne marche pas, pourtant Thierry Ntamack continue de réaliser des films. Comment fait-il?

On ne dira pas que le cinéma marche parce que Thierry Ntamack fait des films! Non! C’est une vision trop simpliste. Ce serait être purement égocentrique. C’est une vision collective. C’est pour dire que si je m’essouffle demain, ne soyez donc pas étonnez. Je m’endette pour faire des films auprès des micro-finances, auprès des privés. Et cela ne suffit pas. Au bout d’un moment mes comédiens ne sont pas payés. Je ne peux donc pas dire que ça marche.

A travers mes films, j’ai voulu démontrer qu’il n’y a rien que l’on fasse au Nigéria et que l’on ne peut faire ici. Décomplexons-nous, il y a du talent. Nous avons eu des aînés qui ont prouvé que nous avons du talent. Et avec ce talent, nous pouvons faire des choses extraordinaires, si nous laissons le tribalisme et toutes les tares qui minent notre pays.

Quels conseils donnez-vous aux jeunes qui se lancent dans le cinéma?

Le conseil que je peux leur donner, c’est de se former. Arrêtez de critiquer l’Etat et les aînés. Quand on commence, l’humilité veut que l’on se forme d’abord. Qu’ils se cultivent et qu’ils arrêtent de penser qu’on vient dans ce métier parce qu’on a échoué dans la vie, on y vient pour se réfugier et se créer une identité. Il faut beaucoup se cultiver quand on est cinéaste, pour ne pas proposer des sujets vides au public. Nous, les artistes, avons notre responsabilité. Nous n’aidons pas les autres à nous respecter avec la qualité des œuvres que nous leurs proposons.