La candidature de l’ancien bâtonnier gène autant le pouvoir, l’opposition traditionnelle, que les mouvements séparatistes.
La prochaine élection présidentielle du Cameroun est encore loin. Très loin même. Pourtant, un candidat suscite déjà des réactions cinglantes au sein de la classe politique nationale. Son nom ? Me Akere Muna. L’ancien bâtonnier a choisi le magazine, Jeune Afrique (édition du 8 au 14 octobre) pour annoncer son intérêt pour la fonction de président de la République du Cameroun. Et depuis, l’officialisation de sa candidature pour le scrutin prévu en 2018 crée des remous.
Même si elle ne surprend personne ou pas grand monde, l’ambition de l’ancien vice-président mondial de l’Organisation non gouvernementale, Transparency International (2005) intervient dans un contexte marqué notamment par la longue crise qui continue de paralyser les régions dites anglophones du pays (Nord-Ouest et Sud-Ouest) d’où il est originaire. « Il serait souhaitable que Paul Biya passe le relais », affirme-t-il. « L’état de mon pays m’incite à vouloir faire partie de la solution, poursuit l’avocat de 65 ans. Depuis deux décennies, j’ai beaucoup travaillé sur la gouvernance, l’économie, mais aussi l’Etat de droit. Me présenter est la seule façon de partager mon expérience au bénéfice des Camerounais ».
Akere agace Au RDPC
Avocat et figure de proue de la lutte anticorruption depuis plus de quinze ans, la candidature de Me Akere Muna, familier des arcanes de la vie politique, gêne. D’abord au sein du régime en place où il est caricaturé comme un « traitre ». Parce que, par le passé, il a flirté avec le gouvernement. Pas seulement en tant que fils de Solomon Tandeng Muna, Premier ministre du Western Cameroon puis vice-président de la République fédérale du Cameroun. Mais aussi, en tant qu’acteur direct de certains cercles du pouvoir, au point de gagner pendant un certain temps, la confiance de Paul Biya.
Akere Muna n’a pas rechigné à défendre l’Etat du Cameroun en tant qu’avocat dans plusieurs affaires, ce qui lui a permis de rester en bons termes avec le président de la République qu’il a discrètement conseillé à plusieurs reprises. « Quand c’est en accord avec mes principes, je ne vois pas pourquoi je refuserais de défendre l’Etat camerounais, justifie-t-il, évoquant l’affaire Albatros, du nom de l’avion présidentiel acheté en 2001 dans des conditions litigieuses ».
L’homme au nœud papillon a définitivement franchi le Rubicon pour se jeter dans le marigot politique camerounais, après avoir longtemps pesé le pour et le contre. Déjà, pour certains caciques du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), le parti au pouvoir, il est désigné comme un arriviste qui aurait perdu la mémoire. « Me Akere Muna vient de se porter candidat à la présidence de la République. De quelle République ?
La République du Cameroun ou la République d’Ambazonie ? », s’interroge Saint Eloi Bidoung, militant du RDPC. Il poursuit : « les Muna ont aisément arboré la camisole de la honte. La trahison est devenue leur sport favori (…) Fossoyeur de l’unité nationale alors qu’ils ont tour à tour mangé dans la main de Paul Biya ».
Une façon assez brutale de rappeler que, comme Akere Muna, Bernard Muna a souvent profité du lobbying de Yaoundé pour occuper de grands postes à l’international, pendant que la benjamine, Ama Tutu Muna elle, a fait partie du gouvernement en tant que ministre des Arts et de la Culture, avant d’être spécialement nommée par Paul Biya, au sein de la Commission nationale de promotion du bilinguisme et du multiculturalisme.
Les partis anglophones dans le doute
Mais Akere Muna creuse davantage la distance qui le sépare du pouvoir en place. Il a commencé à se démarquer et à prendre position contre les autorités publiques, dès le début de la crise dite anglophone, il y a bientôt un an. Il a écrit des tribunes pour questionner la responsabilité de Paul Biya, dénoncer les agissements de certaines pontes du régime et tirer la sonnette d’alarme à maintes reprises. « Paul Biya gagnerait à écouter au-delà des gens qui sont autour de lui, qui font une analyse complètement tronquée de la situation, qui pensent qu’en disant que le président est grand, fort et fait ce qu’il faut, ça va aller », assurait-il. Il a même accusé « le Sud où on retrouve quelques personnes qui ont complètement capturé l’Etat et tout le monde en souffre ». Plus loin encore, notamment le 27 septembre, il écrit une lettre à la Commission de l’Union européenne (UE) pour exposer une théorie du génocide visant les anglophones et soutenue selon lui par le gouvernement qu’il accuse de tolérer la diffusion de discours discriminants à leur encontre dans l’espace public.
L’ancien président du Conseil économique et social de l’Union africaine se fait le défenseur des manifestants anglophones. Pourtant, depuis l’annonce de sa candidature, Akere Muna ne fait plus l’unanimité auprès des « siens ». Chez les leaders politiques anglophones par exemple, on craint de le voir siphonner quelques voix sensées acquises. Comme au Social democratic front (SDF). Déjà affaibli par chaque élection perdue et les démissions en cascades de certains cadres, le parti de Ni John Fru Ndi, comme le People’s action party (PAP) de Paul Ayah Abine, pourrait davantage perdre du terrain avec le départ de militants séduits par le charme et le discours d’Akere Muna, un candidat nouveau.
Certains observateurs le soupçonnent même d’être un pion de Paul Biya dont la mission consisterait à fragiliser davantage les leaders politiques anglophones. «Je pense qu’il est le mieux placé pour créer un pont entre les francophones et les anglophones dans la conjoncture actuelle », confie son frère Bernard. Akere Muna peut-il tirer un bénéfice politique de la crise anglophone ? Tous ne sont pas de cet avis. Surtout dans le clan des séparatistes autoproclamés où, l’annonce de sa candidature à la présidentielle de 2018 est perçue comme un acte de trahison vis-à-vis de la lutte qu’ils mènent. Car en se présentant à la présidence du Cameroun, Akere légitime l’unité du pays. D’autant plus que pour ce qui est de la forme de l’Etat, objet des tensions en cours dans les régions anglophones, Akere les a encore déçus. S’il est élu président de la République du Cameroun, il choisira non pas la sécession, mais le fédéralisme, parce qu’il « respecte nos différentes cultures », dit-il.
Les candidatures indépendantes étant interdites au Cameroun, Akere Muna devra alors intégrer une formation politique. Pourrait-ce être l’Alliance des forces progressistes (AFP) de son frère Bernard ? Entre un SDF mal en point et un RDPC rempli de requins, l’équation est loin d’être simple. « Sans réforme du code électoral, il est quasiment impossible de gagner. Or je n’ai pas l’habitude de me lancer dans un scrutin si je ne peux pas le remporter », conclut-il.