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Actualités of Thursday, 27 April 2023

Source: www.bbc.com

Crise au Soudan : Le dilemme de l'Égypte face aux combats

Le dilemme de l'Égypte face aux combats Le dilemme de l'Égypte face aux combats

Dans notre série de lettres de journalistes africains, l'Égyptien Magdi Abdelhadi examine les retombées de la crise soudanaise pour son pays.

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Le puissant voisin du nord du Soudan observe avec inquiétude ce qui se passe là-bas, mais l'Égypte semble paralysée, incapable de prendre une position claire.

En fait, elle se trouve face à un dilemme, même si elle risque de faire les frais d'un conflit prolongé.

L'Égypte est proche de l'une des deux parties en conflit, l'armée soudanaise. L'autre camp, les forces de soutien rapide dirigées par Mohamed Hamdan "Hemedti" Dagalo, serait soutenu par les Émirats arabes unis, l'un des principaux bailleurs de fonds de l'Égypte.

L'Égypte accueille déjà quelque cinq millions de Soudanais, qui fuient la pauvreté ou les combats. Les deux pays ont conclu un accord de libre circulation, qui permet à leurs populations de se déplacer dans les deux sens pour vivre et travailler.

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Ces dernières années, il est difficile de ne pas remarquer l'augmentation palpable du nombre de migrants soudanais dans la capitale égyptienne.

On les rencontre partout au Caire, comme travailleurs dans les supermarchés ou les petites épiceries, comme femmes de ménage ou comme personnel dans les restaurants.

L'augmentation est telle qu'en l'espace d'un an, deux gares routières ad hoc ont vu le jour dans le centre du Caire. Les Égyptiens les appellent en plaisantant "l'aéroport soudanais".

Un jeune Soudanais m'explique qu'il faut trois jours pour se rendre à Khartoum, un voyage qui coûte 800 livres égyptiennes (environ 15 441 F CFA). On estime à 25 le nombre de trajets quotidiens en bus entre Khartoum et Le Caire, ce qui représente environ 37 000 arrivées par mois.

Ces chiffres pourraient facilement augmenter si les combats ne cessent pas rapidement.

Mais ce n'est pas la seule raison pour laquelle la paix et la stabilité au Soudan sont importantes pour l'Égypte.

L'Égypte considère depuis longtemps le Soudan comme un allié indispensable dans le conflit qui l'oppose à l'Éthiopie au sujet du barrage controversé de la Renaissance. L'Égypte a qualifié le gigantesque projet hydroélectrique sur le Nil bleu, dans le nord de l'Éthiopie, de menace existentielle en raison de son potentiel à contrôler le débit du fleuve, vital pour la vie dans le pays.

Malgré l'importance considérable du Soudan pour les intérêts stratégiques de l'Égypte, le gouvernement du président Abdul Fattah al-Sisi semble avoir eu du mal à apporter une réponse crédible au chaos qui règne à Khartoum.

Ce n'est qu'après avoir appris que certains de ses soldats avaient été capturés par les Forces de soutien rapide que l'armée a publié une déclaration laconique. Deux jours plus tard, le président Sisi a déclaré que l'Égypte ne prendrait pas parti dans le conflit et a proposé une médiation.

Mais peu de gens ont cru à la sincérité de cette position neutre.

Il était évident depuis un certain temps que l'Égypte coordonnait étroitement son action avec celle de l'armée soudanaise - les soldats capturés se trouvaient dans le pays dans le cadre d'un exercice conjoint. Ils ont depuis été évacués vers leur pays d'origine.

Mais on peut comprendre qu'il soit difficile pour l'Egypte d'annoncer publiquement ses préférences. Cela est dû en partie à la complexité du paysage politique au Soudan et à la similitude frappante des développements récents dans les deux pays.

L'Égypte et le Soudan ont tous deux connu leurs propres révolutions.

Hosni Moubarak en Égypte en 2011, et le président Omar al-Bashir au Soudan en 2019. Dans les deux cas, l'armée a joué un rôle décisif dans la destitution du chef de l'État.

En Égypte, les militaires ont fait échouer la transition vers la démocratie. C'est pourquoi l'élite politique soudanaise craint à juste titre que les militaires égyptiens n'encouragent l'armée soudanaise à faire de même.

En public, l'armée soudanaise continue d'affirmer que ses soldats n'empêcheront pas la transition, mais le mouvement de protestation à l'origine de la révolution de 2019, les Forces pour la liberté et le changement, ne le croit pas et craint l'ingérence de l'Égypte.

Les options de l'Égypte sont d'autant plus limitées que le pays traverse une crise économique sans précédent.

Sa monnaie a perdu près de la moitié de sa valeur par rapport au dollar américain au cours de l'année écoulée. L'inflation galopante et la pauvreté croissante font craindre que l'Égypte ne fasse défaut sur son énorme dette extérieure dans le courant de l'année.

L'un des principaux bailleurs de fonds du président Sisi dans le Golfe, les Émirats arabes unis, est connu pour soutenir le RSF.

Il est donc délicat pour M. Sisi d'être perçu comme prenant le contre-pied du conflit.

Pour le régime égyptien, chaque ligne de conduite est dangereuse.

Une intervention musclée de l'une ou l'autre partie pourrait s'avérer contre-productive pour les intérêts nationaux de l'Égypte.

Le Caire a dû tirer les leçons de l'erreur qu'il a commise en soutenant une partie de la guerre civile libyenne, le général Khalifa Haftar, qui n'a pas réussi à s'imposer.

L'Égypte couvre peut-être ses arrières, mais l'inaction n'est pas non plus une solution à long terme.

En fin de compte, le pays souhaite voir "la stabilité, la sécurité et la durabilité pour les Soudanais, ce qui sert nos intérêts nationaux", a déclaré l'ancien ministre égyptien des affaires étrangères, Nabil Fahmy, à la BBC.

Mais la stabilité a souvent servi de prétexte à des régimes autoritaires comme celui qui règne en Égypte pour réprimer la dissidence.

C'est précisément ce que craint la classe politique soudanaise lorsque son voisin du nord parle de "ses intérêts nationaux".